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Ultimate Movie List : Pacôme Thiellement
Paru en 2013

Contexte de parution : La vie est un roman (Aligre FM)

Présentation :

Entretien réalisé par Linda Belhadj

On me dit souvent que je pousse trop loin mes analyses de films. Face à Pacôme Thiellement, j'ai l'air d'une petite joueuse. L'essayiste et réalisateur - dont l'ouvrage Poppermost sur la légende urbaine entourant la mort de Paul McCartney sera réédité en octobre prochain - s'est imposé comme l'exégète de référence de la pop culture.

Ses réponses à mon questionnaire atteste une fois de plus de son incroyable savoir mais surtout de sa passion pour ce domaine. Plongée dans l'univers de Pacôme Thiellement où prennent ensemble tout leur sens Lynch, Pasolini et Buffy.

- Tu n'en finis pas de faire l’exégèse de séries télé et de films. La surinterprétation n'a-t-elle aucune limite ?

Il n’y a pas de « surinterprétation » ; jusqu’à présent il n’y a eu que des interprétations, et on ne va jamais assez loin. Lorsque quelque chose sera vraiment surinterprété, ce sera la Grande Résurrection et le XIIe Imam sortira de son occultation.

- Quelles œuvres récentes (aussi bien au cinéma qu'à la télé) te paraissent les plus riches symboliquement ?

« Oz » de Tom Fontana (TV) ; « South Park » de Trey Parker et Matt Stone (TV) ; « Deadwood », « John from Cincinatti » et « Luck » de David Milch (TV) ; « Dollhouse » de Joss Whedon (TV) « Synecdoque, New York » de Charlie Kaufman ; « Zodiac » de David Fincher ; « The Master » de Paul Thomas Anderson ; « Guilty of Romance » de Sono Sion ; « Breaking Bad » de Vince Gilligan (TV) ; « Person of Interest » de Jonathan Nolan (TV).

- Quel est le film qui a défini ton enfance ?

« Alice au pays des merveilles » de Walt Disney ; « Le Magicien d’Oz » de Victor Fleming ; « Un cadavre au dessert » de Robert Moore… Surtout « Un cadavre au dessert », je crois : le générique avec la boîte qui s’ouvre et les personnages en carton qui se détachent comme dans un pop-up book a anticipé de deux ans mon obsession pour « Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club » des Beatles ; le chinois joué par Peter Sellers m’a appris à formuler la moindre de mes idées avec la dose suffisante de pièges, de chausse-trappes et d’exagération rococo baroque ; cette enquête dont on ne sait pas, au juste, qui a tué quoi (comme dans le poème du Jabberwocky) m’a appris à choisir mes sujets d’étude ; enfin cette maison aux pièces incompossibles, pliable puis repliable, qui ressemble déjà aux villes en papier mâché de « Dark City » de Alex Proyas, est un peu le modèle de construction de tous les livres que j’ai écrit. Ma vie est un remake de « Un cadavre au dessert ».

- Quel film te donne envie d'être un homme meilleur ?

« Freaks » de Tod Browning. En fait il me donne envie de ne pas être un homme, ce qui est la seule position éthique acceptable. Sinon évidemment « Lost » de Carlton Cuse et Damon Lindelof, « Buffy » et « Angel » de Joss Whedon (TV) m’ont appris à accepter la solitude de l’étranger, l’étranger au sens gnostique du terme : l’allogène esseulé.

Mais du reste c’est la victoire posthume surprenante du gnosticisme, que les séries TV ne font qu’illustrer : le monde moderne nous a rendu plus seuls, plus sombres, et plus sceptiques que jamais sur la bienveillance de nos supérieurs hiérarchiques. A force d’incurie, le capitalisme, alors qu’il faisait de la classe dirigeante un repère de démons, a également transformé le peuple en un million de gnostiques. Il suffit de voir l’image d’un jeune homme turc lisant « La Crise du Monde Moderne » de René Guénon, place Taksim, à Istanbul, pour s’en persuader.

- Quel film est un chef-d'oeuvre sous-estimé ?

« The Swimmer » de Frank Perry ; « La 10e Victime » de Elio Petri ; « Yakuza » de Sydney Pollack ; « Le Jour du Fléau » de John Schlesinger ; « A propos d’un assassinat » de Alan Pakula ; « I comme Icare » de Henri Verneuil ; « Trois Femmes » de Robert Altman ; « Chinese Roulette » de Rainer Werner Fassbinder ; « Duelle » de Jacques Rivette ; « Jamais Plus Toujours » de Yannick Bellon ; « Gloria Mundi » de Nico Papatakis ; « Poule et Frites » de Luis Rego.

« A cause d’un assassinat », « Trois Femmes » ou « Chinese Roulette » sont comme des cauchemars parfaits : couleurs, musiques, angles, expressivité. « Jamais Plus Toujours » me bouleverse : il suffit que je voies quelques unes de ces images de ventes aux enchères d’objets chez Drouot, ou ces images successives où l’on voit les objets vivre chez des gens, puis chez d’autres, avec ce thème de Delerue au piano, pour que j’explose en sanglots… Mais si je ne dois en choisir qu’un, c’est « Duelle » de Jacques Rivette – « Duelle » dans lequel TOUT le cinéma de David Lynch est déjà : miroirs qui se brisent et se recollent, lunes avec nuages qui passent, dancings paumés aux rideaux rouges, séquences filmées à l’envers, progressive érosion de la narration, enfin la blonde et la brune qui combattent pour la domination de la Terre.

- Quel film est à ton avis bien trop surestimé ?

Depuis vingt ans, toute la production cinématographique est surestimée. Les films de Woody Allen sont tous surestimés depuis « Meurtre mystérieux à Manhattan ». Les films de Martin Scorcese sont tous surestimés depuis « Gangs of New York ». Les films de David Cronenberg sont tous surestimés depuis « Spider ». Les films de Quentin Tarantino sont tous surestimés depuis « Kill Bill ». Les films de Nicolas Winding Refn sont tous surestimés depuis « Drive ». Les films de Kathryn Bigelow et de Christopher Nolan sont tous surestimés depuis toujours.

Et je ne parle pas des français : les Grandes Gueules Molles Olivier Assayas l’Adulescent-Copycat-Prétentieux-de-Soixante-Ans, Arnaud Deplechin le Chipoteur-Woody-Alleno-Truffaldien-pour-pleurer, Christophe Honoré le Transgressif-Imaginaire, Abdellatif Kéchiche le Tyran-Bien-Aimé, Radu Mihaileanu le Vendeur-de-Rêves-Pourris, les Garrel Père, Fils et Saint-Esprit… Moins les films sont bons, plus les journalistes redoublent d’admiration, comme si l’abondance d’articles laudatifs allait magiquement compenser la médiocrité de la production… Personnellement, j’aime un film nouveau par an. Deux quand je suis de bonne humeur. Trois si je compte la fois où je me suis endormi mais le rêve était super.

- Quel film a la meilleure bande-originale ?

« Casanova » (Fellini) de Nino Rota (déchirante) ; « L’important c’est d’aimer » (Zulawski) de Georges Delerue (captivante) ; « Autopsy of a Murder » (Preminger) de Duke Ellington (surswinguante) ; « Le Locataire » (Polanski) de Philippe Sarde – ou plutôt de Hubert Rostaing, qui tient la clarinette (enivrante) ; « Fight Club » (Fincher) des Dust Brothers (décapante) ; « Natural Born Killers » (Stone) de Trent Reznor (juste géniale).

- Quel film (indépendant) te tape sur les nerfs ?

« Lost in Translation » de Sofia Coppola (pour sa façon de montrer le Japon) ; « Hostel » de Eli Roth (pour sa façon de montrer les pays de l’Est) ; « Mr. Lonely » de Harmony Korine (pour sa façon de montrer les sosies) ; n’importe quel Larry Clark (pour sa façon de mater, pardon, de montrer les adolescents).

- Pour quel acteur (ou actrice) as-tu un amour inconditionnel ?

Gene Tierney ; Ava Gardner ; Romy Schneider ; Shelley Duvall ; Sissy Spacek ; Juliet Berto ; Hermine Karagheuz ; Elina Löwensohn ; Amy Acker ; Groucho Marx ; Jean Yanne ; Dean Stockwell ; Harry Dean Stanton ; Terry O’Quinn. .

- Quel réalisateur a une filmographie parfaite ?

Aucun. Mais les filmographies réduites et lacunaires, pleines de chutes, fragments et projets non réalisés, de Orson Welles, Pier Paolo Pasolini ou Jean Eustache, ont quelque chose de particulièrement émouvant.

- Quel film aurais-tu aimé écrire ?

« Out 2 » de Jacques Rivette ; « Le Voyage de Mastorna » de Fellini ; « Le Capital » de Serguei Ivanovitch Eisenstein ; « The Deep » de Orson Welles ; « Napoléon » de Stanley Kubrick ; « Mandrake » de Henri-Georges Clouzot ; enfin, de David Lynch : « Venus Descending », « La Métamorphose », « Ronnie Rocket », « One Saliva Bubble », « The Dream of the Bovine », « Up to the Lake », « You play the Black and the Red comes up », « Nicolas Tesla » ainsi que son spin-off de « Fire Walk with me » autour de Carl Rodd et de son parking de caravanes.

- Quel acteur (ou actrice) peut ruiner un film pour toi ?

Mélanie Laurent.

- Quel film d'horreur continue à te terrifier ?

« Stepford Wives » de Bryan Forbes ; « Rosemary’s Baby » de Polanski ; « Shining » de Kubrick ; « The Exorcist » de Friedkin ; « The Brood » de Cronenberg ; « God Told Me To » de Larry Cohen ; « Candyman » de Bernard Rose ; « Cure » de Kiyoshi Kurosawa ; « Suicide Club » de Sono Sion.

- Quelle est la plus belle histoire d'amour au cinéma ?

« Tous les autres s’appellent Ali » de Rainer Werner Fassbinder.

- Quel film qui va bientôt sortir attends-tu avec impatience ?

« Nymphomaniac » de Lars von Trier.

- Quel classique du cinéma prétends-tu avoir vu ?

« Autant en emporte le vent », parce que c’est vraiment trop me demander de le regarder pour de bon.

- Quel livre devrait être adapté au cinéma ?

« Vente à la criée du lot 49 » de Thomas Pynchon avec Julia Benz dans le rôle de Oedipa Mass, Alexis Denisof dans le rôle de Metzger et Philip Seymour Hoffman dans le rôle de Pierce Inverarity ; « Une saison volé » de Henri Thomas avec Marc-Antoine Vaugeois dans le rôle de Paul Souvrault et Christophe Bier dans le rôle de Emmanuel Peillet ; « La Fosse de Babel » de Raymond Abellio avec Michael Emerson dans le rôle de Drameille et Lance Henriksen dans le rôle de Dupastre ; « La Transmigration de Timothy Archer » de Philip K. Dick avec Julianne Moore dans le rôle de Angel Archer ; « Journal occulte » de August Strindberg avec Michael Lonsdale dans le rôle de August Strindberg et Laetitia Dosch dans le rôle de Harriet Bosse ; « Mémoires d’un névropathe » de Daniel Paul Schreber avec Jeremy Davies dans le rôle du président Schreber.

- 5 films que tu peux voir encore et encore et toujours être surpris par leur génie :

« Les Nains aussi ont commencé petits » de Werner Herzog ; « Psychose » de Alfred Hitchcock ; « Chinatown » de Roman Polanski ; « Céline et Julie vont en bateau » de Jacques Rivette ; « Twin Peaks – Fire Walk with me » de David Lynch.