Pacome Thiellement.com

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Nous sommes dans une période sombre, mais elle est traversée de lumières vives et éclatantes
Paru en 2013

Contexte de parution : Flux News

Présentation :

Entretien réalisé par Yannick Franck dans le numéro 63 de Flux News.

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Pacôme Thiellement est essayiste, critique musical et réalisateur. Il écrit es essais sur des sujets aussi variés que la magie noire, l’envoûtement, les sacrifices rituels, la voie de la mort, la pop, la bande dessinée et l’humour et participe régulièrement à l’irremplaçable Mauvais Genres sur France Culture, animée par François Angelier.

Yannick Franck l’interroge ici sur les films d’orientation et de conditionnement qu’il coréalise avec Thomas Bertay et sur son nouvel essai : POP YOGA, paru en 2013 chez Sonatine.

Y.F. : Tu réalises avec Thomas Bertay des films que vous définissez comme « un programme d’orientation et de conditionnement destiné aux individus appelés à diriger le peuple des hommes reconstitués », avez-vous eu vent de l'usage que votre public en fait et de leur efficacité ? Recherchez-vous à produire une véritable forme de transe (voire de gnose) au visionnage de ces films ? Développez-vous des techniques audiovisuelles particulières, expérimentales en vue d'induire cette transe ?

P.T. : OK. Pour commencer il est important de dire que je donnerais ici mon point de vue sur cette définition, et qu’il ne recoupe pas forcément celui de Thomas Bertay. Nous n’avons pas nécessairement la même interprétation des épisodes du Dispositif et nous ne cherchons pas à une donner une qui soit univoque. Au contraire, comme toute fiction, son interprétation appartient exclusivement au spectateur. Dans mon esprit, cette définition (« programme de conditionnement et d’orientation ») est une fiction, elle participe de la fiction du Dispositif comme d’un programme qui aurait été testé sur le personnage principal de la série, à savoir une spectatrice/personnage qu’on suit plus ou moins directement tout le long de celle-ci et qui est figuré de façon onirique par les images des femmes que l’on voit apparaître : Gene Tierney, Karen Mulder, Jennifer Garner, Pascale Ogier, etc. Ce personnage est orienté et conditionné par un programme, « Le Dispositif », en vue d’un objectif politique (=diriger le peuple des hommes reconstitués), mais progressivement le programme tombe amoureux d’elle (« Tu étais différente », etc.), et fonctionne avec elle à la fois comme un démon et comme un ange. Les techniques que nous utilisons sont celles qui fonctionnent sur nous : si nous sommes pris par les images ou les sons que nous utilisons, nous estimons qu’ils sont prenants, etc. Il y a des lois, des variables rythmiques qui fonctionnent particulièrement bien, mais elles sont organiques, elles ne se laissent découvrir que dans le travail, jamais « a priori ». Ce que nous attendons de nos spectateurs, c’est simplement qu’ils aiment « Le Dispositif ». Je crois que c’est le cas de toute personne qui réalise un film, non ?

Y.F. : Quelles sont vos influences? Par votre utilisation « discrépante » d'images déjà existantes mises en relation avec une voix off vous semblez renouer avec une certaine tradition lettriste (Isidore Isou, Maurice Lemaitre) voire situationniste ? Peut-être avec un art audiovisuel aux aspirations plus « mystique », Jodorowsky etc. ?

P.T. : Je ne me reconnais pas particulièrement dans ces deux tendances : situationniste ou jodorowskien, mais j’imagine qu’on peut les trouver, après tout j’ai vu et aimé « La Société du Spectacle » et « La Montagne Sacrée », mais plutôt moins que d’autres films « de montage » comme « La Rage » de Pasolini, ou « mystiques » comme « Inferno » de Dario Argento. Je reconnais surtout l’influence des réalisateurs de la « grande télévision » des années 70, en particulier Jean Frappat, Pierre-André Boutang ou Jean-Christophe Averty, et, plus près de nous, les « Documents Interdits » de Jean-Teddy Philippe. Et sinon, évidemment, Herzog, Lynch, la série « Lost », « Monsieur Klein », « L’Important c’est d’aimer », « The Manchurian Candidate », « La Troisième Génération », « I comme Icare », bref : les choses que j’aime et que Thomas aime aussi. On retrouve une voix-off de ce genre dans « Europa » de Lars von Trier, également. Mais cette influence était inconsciente (du moins chez moi) au moment où on a commencé à la mettre en place. Une autre influence pour moi, c’est les cassettes audio que ma mère écoutait quand elle essayait d’arrêter de fumer : « Vous avez décidé d’arrêter de fumer. Vous ne supportez plus l’odeur du tabac. Etc. »

Y.F. : Il semble que le problème avec ce genre de projet, par ailleurs fascinant, est que les plus aliénés sont justement ceux qui ne les verront pas, et que seule une forme d'élite, de condition plutôt bourgeoise et prétendument éclairée en fera une sorte de caution pour garantir une différence revendiquée en supériorité. L'accès à la culture comme faire valoir. C'est un problème que n'est pas que parisien, mais Paris en est un exemple assez flagrant. Comment éviter cet écueil, comment donner vos films à voir à un autre public que celui de l'art et des réseaux alternatifs ? Avez-vous des projets dans ce sens ?

P.T. : Je suis conscient de ce problème, et je n’ai aucune solution présente à mon esprit à part le fait qu’on met beaucoup de ces épisodes sur le net, et donc qu’ils sont accessibles gratuitement à beaucoup de gens. Nous savons que nous ne touchons qu’une minorité d’individus et que ceux-ci font majoritairement partie de la bourgeoisie. Mais on se dit qu’un miracle n’est jamais impossible, et que : plus notre expression sera précise, plus nous pourrons atteindre le cœur des individus.

Y.F. : Tu critiques vivement la France tant pour ses réalisateurs et ses scénaristes que pour ses auteurs, qui selon toi manquent cruellement d'imaginaire et en gros depuis Clouzot, Melville et Tati de rigueur formelle, de vrai sens de l'image. Pense-tu que ses artistes soient également dans ce type de marasme ? Es-tu intéressé par l'art contemporain en France et ailleurs ?

P.T. : La différence entre le cinéma et les autres formes artistiques en gros, c’est que le cinéma coute cher. En France, où la médiation culturelle est bien pourrie, nous avons de grands imagiers, peintres ou dessinateurs : Killoffer, Scott Batty, Captain Cavern, Olivia Clavel, Pyon, Placid, Muzo, Pascal, J.C. Menu, Thomas Perino, Clémentine Mélois, etc. qui travaillent sans nécessairement avoir un fort relais institutionnel. Des photographes – comme Arnaud Baumann, etc. Des écrivains ou des poètes aussi, évidemment. Pour le cinéma, c’est différent : les moyens nécessaires pour mettre en œuvre une véritable expérience esthétique sont importants, et ceux-ci sont gaspillés pour produire des merdes innommables depuis près de 40 ans. Il y a des choses que j’aime beaucoup dans le cinéma français encore vivant, mais ce n’est pas du cinéma « formel » (quoi que), ce sont les films de Jacques Rivette ou de Pascal Bonitzer. Sinon évidemment je suis toujours intéressé par ce que peuvent produire Leos Carax, Patrick Grandrieux ou Gaspard Noé, même si je ne me reconnais pas forcément totalement dans leurs films.

Y.F. : Tu travailles en ce moment sur « Rituel de Décapitation du Pape », un  film dont Zappa est le héros et qui visite son univers à travers le prisme de plusieurs contre cultures contemporaines. On peut lire dans la présentation officielle: « « Rituel de Décapitation du Pape » propose une relecture de l’histoire de la contre-culture américaine à travers le récit, beau et tragique, de Vito, Carl et Szou, les Freaks de Los Angeles – nommés ainsi en hommage au film de Tod Browning. Précurseur méconnu du mouvement hippie, le message de liberté métaphysique et politique des Freaks sera transfiguré dans l’œuvre de Frank Zappa. Celui-ci forgera, à travers lui, une poétique des animaux, des monstres et des errants, et retrouvera une tradition carnavalesque, anarchiste et alchimique, qui va de François Rabelais et Alfred Jarry à King-Kong et Koko le Gorille qui parle en passant par Edgar Varèse et Fulcanelli ». Vaste programme ! Mais la question qui se pose est comment cela va-t-il se matérialiser ? Comment ces ambitions vont elles se traduire à l'écran ? Est-ce que ça ressemblera plutôt à une fiction ou a un documentaire ?

P.T. : Ca ressemblera un peu aux trois, mon général. Fiction, documentaire et… En fait, on peut en avoir une idée à travers les deux pré-films que nous avons fait : « Rituel de décapitation du Pape » et « Les Hommes qui mangèrent la montagne » (Le Dispositif 46 et 48), mais comme nous avons fait une souscription, nous espérons bénéficier d’un petit budget pour voyager et filmer… Et donc nous voulons avancer encore un peu dans cette forme à la fois souple, élastique et tendue que nous avons expérimenté avec « Le Dispositif » et proposer une expérience, qui tienne à la fois du conte et de l’essai, mais qui sera un peu plus riche formellement, comme narrativement et essayistiquement.

Y.F. : Les liens entre Zappa et l'alchimie. Quand est-ce que ça t'a sauté aux yeux ?

P.T. : Depuis que j’ai appris que l’alchimie existait, j’ai toujours vu les alchimistes comme des mecs qui ressemblaient à Zappa : des savants fous, des esprits baroques dont l’objectif était de prendre le déchet de la nature et le transformer en or. Et depuis que j’ai appris que Fulcanelli, un des plus grands alchimistes, était évoqué dans le titre d’un morceau de Zappa, je me suis dit que c’était un peu plus qu’une simple coïncidence. Nous avons rencontré Gail Zappa. Nous en savons un peu plus désormais… mais, chut ! Ce sera dans le film !

Y.F. : Tu sembles ériger la série télévisée en art majeur. Je crois savoir que tout a démarré avec « Twin Peaks » ? Quelles sont les séries actuelles qui touchent au divin? Comment est-il possible d'arriver à un tel marasme dans la musique pop internationale et en particulier américaine et du cinéma hollywoodien à l'heure ou la série arrive à se renouveler et à être plus inventive que jamais ? Est-ce selon-toi principalement dû à la spécificité des nouveaux réseaux de distribution télévisuels (prolifération des chaines câblées, visionnage en ligne) qui permettent plus de liberté ?

P.T. : C’est probablement dû au fait que le succès de la série provenait de facteurs tellement contemporains (les jeunes gens solitaires et insomniaques qui ont besoin de consommer beaucoup de fiction chez eux à partir de 1h du matin et qui travaillent sur des ordinateurs) qu’on ne pouvait les prévoir suffisamment en amont pour tout laisser saloper par un pool d’experts ! Lorsqu’un nouvel espace d’expression se voit plébiscité par le grand nombre, dans un premier temps, les financiers n’ont aucune idée de ce qui va fonctionner ou non, et prennent des risques : les producteurs de musique dans les années 60, les producteurs de séries dans les années 00. Dès que ça se consolide, c’est foutu : les experts déboulent en masse, et empêchent absolument le champ d’expression de respirer… On se retrouve avec des succédanés. C’est là que je distingue ce qui est pop de ce qui est « culture de masse » : « pop », ça vient d’en bas et ça monte vers le ciel, c’est : les Beatles, le jazz, Rabelais, Hara-Kiri…« Culture de masse », c’est décidé par des « experts » et c’est fait pour endormir le « bon peuple ». Maintenant, même dans ce cadre, nous ne sommes jamais à l’abri d’une bonne surprise… Elles sont plus rares, voilà tout, et il vaut mieux inventer un nouveau champ d’expression que de vouloir réinvestir un terrain desséché. Le point de vue (à mon sens faux) des « modernes », c’est que les formes sont limités mais les idées illimitées : on invente sans cesse des concepts, mais on vénère les champs d’expression les plus classiques, figés, simplifiés, surannés. Le point de vue (auquel je m’accorde) des « traditionnels » c’est l’exact inverse : les idées préexistent de toute éternité, elles ne sont pas illimitées et elles sont universelles (la difficulté est de les atteindre, de les retrouver), par contre les champs d’expressions sont indénombrables, et il faut toujours inventer de nouvelles formes, parce que le monde ne cesse de se métamorphoser. Ce qui explique que « Les Lois de Manou » et « Lost » disent en gros la même chose, mais avec des formes adaptées au temps et à l’espace qu’ils traversent. Cela vaut aussi pour « Pantagruel », le « Docteur Faustroll » et « Uncle Meat » pour citer un exemple qui aura surtout du sens dans « Rituel de décapitation du Pape ».

Y.F. : Tu ouvres ton dernier ouvrage « Pop Yoga » par une mise au point consistant en une distinction fondamentale entre culture pop, culture élitiste et culture de masse. Donnant à la seule culture pop le rôle noble de donner une joie véritable à la population, la culture élitiste ne touchant que sa partie instruite et la culture de masse étant le produit mis au point par ces élites « en vue de conserver la population dans l'ignorance et la misère ». Propos extrêmement séduisant, mais le classement élitiste / pop / culture de masse n'est-il pas uniquement lié à l'appréciation de chacun ? En quoi Sun Ra, pour citer un artiste qui te tient à cœur, est-il véritablement populaire ? Ne crois-tu pas que tout art authentique soit aujourd'hui plus que jamais contraint à la marge, la culture de masse ayant pris une telle place et le formatage battant son plein ? J'ai quand même l'impression que la culture pop des 60's faisait partie de la culture de masse de l'époque, chose impensable aujourd'hui. Est-ce l'illustration du phénomène d'expertise que tu expliques dans la réponse précédente ? Elvis et les Beatles pouvaient toucher les foules alors que les foules actuelles n'ont accès qu'aux mêmes productions sans sensibilité, sans fond, sans message. Ils n'ont accès qu'au Mac Do de la musique là ou la pop d'hier était interplanétaire, il ne reste que le nigredo, le grand œuvre n'ayant plus sa place au soleil! Donc bien entendu des souterrains se créent, sans pour autant se revendiquer d'un élitisme culturel, ne crois-tu pas que la nouvelle culture pop est élitaire par dépit ?

P.T. : Tout d’abord, Sun Ra appartient à une séquence historique du jazz où celui-ci cesse d’être populaire, pas parce qu’il est moins bon, ou moins profondément lié à des formes très populaires, mais parce qu’on le rend artificiellement inaccessible au public, parce qu’on lui impose autre chose comme « musique populaire ». Le Grand Jazz est populaire en gros jusqu’à Charlie Parker, ensuite on vend au bon peuple du lounge et de la muzak et de la variété internationale jusqu’à la nausée, tandis que seuls des esthètes écoutent les grands jazzmen suivants : Charles Mingus, Eric Dolphy, Albert Ayler, Sun Ra… C’est pareil pour la poésie, populaire jusqu’à Victor Hugo, et underground à partir de Baudelaire. Et le grand rock, populaire jusqu’à Led Zeppelin et Black Sabbath, et underground à partir des Residents. Les hommes de pouvoir, pour enrayer le processus de réappropriation des principes traditionnels par le peuple à travers les formes de culture spontanée, imposent massivement des succédanés extrêmement médiocres qui ne les remplacent pas, mais ont le pouvoir de masquer la possibilité d’autres productions. En gros : les Residents seraient pop si on ne nous avait pas imposé massivement d’en haut Madonna. Sun Ra serait pop si on ne nous avait pas noyé sous les roucoulades de Dean Martin et son Rat Pack de merde. Ensuite, soyons bien clair, je ne vais certainement pas défendre ma propre idée ! Si tu n’es pas d’accord : fuck you, dude ! Je dis ça en riant, hein, mais j’ai une démarche empirique, je produis une hypothèse qui fonctionne pour moi, si tu n’es pas d’accord avec elle, ça ne me dérange pas, fais ce que tu veux, fais ce que tu ressens, produis la tienne. La distinction entre culture académique, culture populaire et culture de masse fonctionne pour moi, elle m’aide à interpréter ce qui s’est passé dans l’Histoire, mais il y a certainement d’autres manières de procéder. La culture populaire, c’est le folklore, c’est-à-dire la source la plus proche du savoir traditionnel : on la retrouve dans les comptines, les sorcelleries des paysans, les chants de marins qui traversent la Terre, le Tarot, les coutumes qu’on ne comprend plus, les fêtes bizarres où le fou devient roi, etc. Je considère cette culture comme une production naturelle, spontanée. D’où ses indénombrables métamorphoses, son vaste champ de jeux et de renversements. Que certaines périodes de l’Histoire rendent cette culture inassimilable ou obscure dit beaucoup sur le poids des hommes de pouvoir à une époque donnée : aujourd’hui, ce poids est très lourd, ce qui explique que les productions musicales les plus enfantines et les plus joyeuses, qui devraient être les plus populaires, sont les plus obscures : Sun Ra, Harry Partch, les Residents, etc.

Y.F. : Il y a dans « Pop Yoga » comme des éclairs d'intuition divine ! On se dit d'abord qu'absolument tout peut être mis en relation avec des sujets tels que les gnostiques ou la théosophie, que les parallèles fait entre les artistes cités et les traditions que tu évoques sont une forme de jeu. Puis au fur et à mesure que le livre se déploie ce qui se présentait comme un postulat fantaisiste, quoique profondément attachant et inspirant, se révèle d'une clairvoyance qui saute aux yeux. Tout semble logique, les différents éléments de recoupent et font sens. J'ai l'impression que ton approche trouve son fondement plutôt dans une forme de révélation immanente que d'un travail d'enquête à proprement parler ? Ou que du moins l'impulsion est plus sentie que réflexive ?

P.T. : Je ne sais pas quoi répondre, mais merci ! Et oui, c’est toujours d’abord d’intuitions dont il s’agit. Mais ensuite – c’est Raymond Abellio qui m’a appris ça – il faut rationnaliser celles-ci, les « mettre en structure », pour passer de l’élan mystique à l’intériorisation gnostique, sans pour autant perdre leur énergie ou leur sève. Ecrire un essai n’est pas très différent d’écrire une fiction sur ce point : il faut ensuite mettre en scène l’idée, et donc, d’une intuition de départ, produire tout un attirail d’hypothèses préalables ou consécutives que l’on organise comme un Tout. Et la construction du recueil « Pop Yoga » répond au même impératif : mettre en scène les textes qui le composent, « monter » leur succession de sorte à ce que le lecteur avance vers une intensité ou une harmonie plus forte au cours de sa lecture, passe d’un bric-à-brac d’hypothèses saugrenues à quelque chose de plus en plus solide et structuré. Bref : si c’est réussi, si ça fonctionne, tant mieux !

Y.F.: Tu te réfères beaucoup à l'idée qu'une Tradition primordiale aurait unifié tous les savoirs avant qu'ils ne soient dispersés dans les cultures du monde, idée qui fût portée entre autres par René Guénon ou encore cinq siècles avant lui par Pic De La Mirandole, mais qui prend sa source dans le Corpus Hermeticum, un recueil de traités mystico-philosophiques datant de l'antiquité attribués au mythique Hermès Trismégiste, cher aux alchimistes. J'imagine que tu dois avoir développé une vision très personnelle de cette tradition au fil de tes recherches? Est-ce principalement par une nécessité de réenchanter un monde ou les obsessions rationalistes et le matérialisme semblent nous avoir définitivement coupés de tout rapport véritablement religieux à l'existence ?

P.T. : Cette hypothèse en recoupe beaucoup d’autres. Je retrouve progressivement leur trace au fil de mes recherches, même si intuitivement tout à toujours été là : de Zappa à Guénon, en passant par Lynch et Jarry. Il faut articuler à la fois la notion de Tradition Primordiale, une connaissance non-humaine dont les Gitans auraient été les dépositaires, traversant la Terre pour infuser cette spiritualité première aux sédentaires (dont on peut trouver des développements inattendus mais tout aussi passionnants chez quelqu’un comme Jean-Louis Bernard), et à la fois le travail d’un folkloriste comme Claude Gagnebet, trouvant les traces de la religion première dans les rituels du Carnaval, les chansons des enfants, les contes des campagnes… Je ne cherche à rien réenchanter. Tout est déjà à la fois magique et ensorcelé. Magique parce qu’il suffit de frapper contre un mot ou une image et elle s’ouvre, et vous ouvre, à cette connaissance immémoriale. Ensorcelé parce que c’est sa partie ténébreuse qui aujourd’hui bat son plein. Nous sommes dans une époque sombre, où le domaine de la contre-initiation prédomine, mais elle est traversée de lumières vives et éclatantes. Le tout est d’être impitoyable avec ce qui est ténébreux, mais toujours à l’écoute de ce qui est lumineux. Non ?