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Après nous, le dieu Freak
Paru en 2010

Contexte de parution : Orsten Groom (orstengroom.com)





Dans un épisode de Twin Peaks, l’agent Cooper, inquiet, à juste titre, de la tournure que prend son enquête, s’adresse au sheriff Trumann et à ses deux adjoints : « Gentlemen, when Windom Earle arrived in Twin Peaks I assumed he had come for vengeance. For me. But I miscalculated. He has insinuated himself into the lives of people I care for, he has murdered innocents ; he has engaged us in subterfuge and red herring – a fish I don’t particularly care for. But all of these acts are merely camouflage ; he’s been after something else all along. The Black Lodge. » Windom Earle nous a engagé dans des subterfuges et des fausses pistes, dit en substance l’agent Cooper, il nous a fait croire qu’il allait dans une direction, alors qu’il en prenait une autre ; ce que les traducteurs français, notoirement fous, traduisirent alors par « Il nous a fait le coup du hareng. » Et c’est un hareng rouge que Jacob, dans le dernier épisode de l’avant-dernière saison de Lost, pêche et mange, indiquant au spectateur que tout ce qu’il a cru comprendre jusque là était faux, bien entendu. Il va falloir tout revoir à zéro.

Il va tout falloir revoir à zéro. Messieurs, quand j’ai vu pour la première fois ce que faisait Orsten Groom, je croyais qu’il travaillait sur les red herring, les harengs rouges, les fausses pistes, les glissements de sens, la grande poisse. Hameçons géants sur baignoires, cadavres tirant la langue, monstres et machin-choses, tout menait toujours à la centrale vision du Char ou du Corps de Dieu, mais en passant par les plus insidieux interstices, les sentiers marécageux des roulottes de la connaissance non-humaine, conduites par les monstres et les musiciens, prenant les sentiers inversés du jardin en sens inverse. Mais toutes ces actions ne furent que camouflage. Il était après autre chose depuis le début. C’est-à-dire que si tout l’art contemporain est un « complot » (Baudrillard) ou plus exactement une esthétique de la fausse piste, un hareng rouge de la taille de la Terre, une industrialisation de la pierre d’achoppement, un trou noir à la place du Char, alors Orsten Groom est la fausse piste de la fausse piste. Il joue sur le contresens que représente l’appellation ironique, très « art contemporain », posée sur l’objet, mais c’est sur un fond de peinture si viscéralement peinte, ou de sculpture tellement outrageusement sculptée, que l’ironie se renverse en son contraire, et qu’apparaît le grand sourire du cauchemar vrai. Le grotesque est la puissance immémoriale, l’ange traditionnel de la catastrophe, qui extermine toujours cette manière trop dépressive, dépréciative, tristement souriante, cyniquement mièvre, en un mot : trop humaine de penser l’homme. Ce que montre Orsten Groom, c’est que nous avons assez rigolé comme ça.

Avec Orsten Groom, l’art ne se donne plus comme une méditation mélancolique sur l’indifférence contemporaine des choses, mais comme la grimace violente de l’ange retourné. La lumière traverse les moisissures. Après nous, le dieu freak.