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L'Humour est-il une arme de guerre ?
Paru en 2012

Contexte de parution : Standards and more (standardsandmore.fr)

Présentation :

Entretien avec Anthony Poiraudeau avec une série de photos de Léo-Paul Ridet.

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Dans ton dernier livre, Tous les chevaliers sauvages, tu mènes une réflexion sur l’humour comme forme de guerre, axée sur un rapprochement entre le magazine Hara-Kiri et l’éthique traditionnelle samouraï. Au tout départ, qu’est-ce qui te suggère ce rapprochement ?

Le départ, c’est l’image du Professeur Choron cassant un téléviseur dans l’émission « Les raisins verts », de Jean-Christophe Averty. Cette image - celle du guerrier - me hante depuis des années. Ensuite, il y a la question de la forme spirituelle de la guerre : la chevalerie théophanique, la forme indienne des kshatriyas, et ultimement la forme du samouraï, qui à la différence des autres, survit à sa propre nécessité.

Les samouraïs ont expérimenté le fait de connaître des périodes de latence, qu’on voit par exemple dans Les sept Samouraïs de Kurosawa, où les samouraïs cherchent un lieu où agir en tant que guerriers alors qu’ils n’ont déjà plus de chef. Ils errent, fidèles à leurs principes et à leur éthique de vie, mais dans un monde qui leur est devenu totalement étranger. C’est la succession de ces images qui me permet de faire le rapprochement. Ensuite, à partir de ça, je creuse les points de convergence et je vois si ça a un sens ou pas. Dans chacun de mes essais, il y a ce genre d’expériences.

Tu étudies en quoi les productions culturelles populaires relèvent de la pensée traditionnelle, hermétique ou gnostique. Pourquoi particulièrement celles-ci, davantage que celles de la « culture savante », de la « culture de musée » ?

Parce que les œuvres de la culture populaire sont fraîches et doivent à chaque fois réinventer leur propre nécessité. Ceux qui en produisent sont moins informés de l’expression attendue de leur art, ils ne doivent pas répondre à une autorité culturelle. Le problème des œuvres de culture académique - ou déjà balisées - est qu’elles s’inscrivent dans une histoire déjà construite, et qui répond finalement au schème occidental du Progrès. Bien sûr, le mythe du Progrès en art a été maintes fois invalidé, mais il y a tout de même souvent une prédétermination historique dans ce type d’œuvres.

Quand on découvre des classiques de la littérature, c’est souvent imposé par l’école, par l’institution. Le plaisir vient ensuite. A l’âge où j’ai lu L’Education sentimentale pour l’école, Twin Peaks passait à la télévision, et ça, personne ne me demandait de le regarder. Si je m’approche d’une œuvre d’abord par pure impulsion, par pur désir de voir, la question gnostique de savoir en quoi ça me correspond se pose avec beaucoup plus de force.

Savoir en quoi Zappa me concerne devient mon aventure et mon expérience de recherche, tandis que savoir en quoi Flaubert peut me concerner implique déjà les raisons objectives de devoir s’y intéresser, en raison d’un système déjà institutionnel.

L’institution, pour moi, entre en infraction avec la tradition, qui renvoie à une connaissance non humaine et donc pré-institutionnelle. Tout le rapport gnostique qu’on peut avoir avec les produits pop-culturels (qui ont de nombreux défauts : le déchet, la production commerciale, etc.) vient d’abord du fait qu’ils apparaissent comme des produits non institutionnels.

Tu tiens à la notion de « tradition », à la « connaissance traditionnelle ». Qu’est-ce qui, dans l’Histoire, rend marginale la connaissance traditionnelle ? 

Selon les textes indiens, la connaissance traditionnelle devient occulte à partir du moment où les prêtres - les brahmanes - sont soumis aux hommes de pouvoir terrestre, les kshatriyas. Ce moment correspond aux débuts de l’histoire humaine connue, depuis lesquels la connaissance traditionnelle ne survit plus que dans des lieux isolés, difficiles à déceler, en underground. On n’en a que des échos, à travers les textes sacrés les plus anciens, mais aussi à travers toute l’histoire, parce que la tradition a été portée à travers la Terre par les bohémiens, qui l’ont transmise aux sédentaires.

On peut retrouver, comme un puzzle, des morceaux de cette connaissance traditionnelle à travers l’espace et le temps, mais sous forme d’éclats brisés, qui demandent une reconstitution par recoupements et par intuition. C’est aussi par ce rapport nomadique au monde, avec les tournées pour les musiciens, que la culture populaire peut retrouver l’esprit des bohémiens et accéder à des fragments de connaissance traditionnelle.

L’archétype de ça, c’est Bob Dylan. La vision par Bob Dylan du roi des Gitans, en 1975 aux Saintes-Maries-de-la-Mer, qui donne naissance à l’album Desire, pourrait servir de récit archétype de la relation entre la culture populaire et l’esprit bohémien.

Pour revenir à la question de la guerre, en quoi le désarmement du Japon et la déchéance de la divinité de l’Empereur du Japon, en 1945, avec lesquels tu composes le premier chapitre de ton livre, produit une mutation dans la nature de la guerre ? Parce qu’elle devient « séculière » plutôt que « régulière » ?

Tout à fait. Faire disparaître une fonction, c’est la faire perdurer en tant que fantôme et la faire hanter tout ce qui l’entoure. À ce sujet, je puise dans une littérature philosophique sur la question de la guerre totale, antérieure à la Seconde Guerre mondiale, qui va de l’extrême-gauche avec Walter Benjamin à l’extrême-droite avec Carl Schmitt.

Cette problématique commence avec Clausewitz : la fin de la fonction militaire elle-même et la dérégulation de la guerre, qui l’étendent partout. Ce qui m’intéresse tient aux questions de la formation de l’individu : quelle place y a-t-il pour les individus qui ne se sentent appelés qu’à faire la guerre, comme les samouraïs, qui voient dans l’exercice de la guerre leur véritable expression ?

Avec Hara-Kiri, on est en présence d’un groupe d’humoristes qui fonctionne exactement comme ça. C’est un être-au-monde très particulier, qui doit trouver une forme pour s’exprimer, et c’est la recherche de cette forme qui m’intéresse.

A qui ou à quoi Hara-Kiri faisait-il la guerre ? Au rire qui distrait de l’horreur du monde ? À la bonne conscience de son époque ?

A tout ça, oui. Finalement, Hara-Kiri faisait la guerre à la société entière. Le journal s'adressait à l’extrême minorité de ceux qui ne sont pas dupes de l’homme de l’après-guerre. C’est contre cet homme, et d’abord contre l’humour qui lui permet de tenir debout, que Hara-Kiri faisait la guerre. Déplacer l’humour en riant de quelque chose qui fait beaucoup plus mal, c’est poser la question de l’humour comme arme. Dans ce cas, ça ne peut pas juste être une blague, il faut vraiment l’aiguiser.

Ca n’a rien avoir avec les blagues du Petit Journal, dont les journalistes ne peuvent pas du tout faire la guerre à Sarkozy : ils rient des mêmes choses.

Alors que je doute qu’un homme politique puisse rire de la couverture de Charlie Hebdo qui portait le titre « Lecanuet, une gueule qu’on aimerait écraser à coups de tatanes ». Ca non. Cependant, cette couverture ne serait plus pertinente aujourd’hui, parce qu’elle déclencherait un débat de société du type « Vous trouvez ça normal qu’un homme politique soit traité comme ça ? », et relancerait la machine politique sur un mode négatif.

À l’époque, ça arrêtait net les hommes politiques, mais depuis, les armes de Hara-Kiri ont été reprises par leurs ennemis, ou plutôt par les enfants de leurs ennemis. Le centre de Tous les chevaliers sauvages est de savoir comment des armes aussi puissantes pour détruire un monde ont pu être celles que les descendants des dirigeants de ce monde ont utilisées pour continuer à l’occuper - et face à ce constat, quelles sont les techniques pour pouvoir rétablir le tir et reprendre le combat.

Tu montres que ce qui tue Hara-Kiri, c’est l’accomplissement d’un processus de starlettisation généralisée dont le médium est notamment la télévision, où tout le monde fait de l’humour, se doit d’en faire, et peut être provocateur sans conséquence.

Ce qui tue Hara-Kiri, c’est la disparition de la fonction de l’homme politique et de la souveraineté de l’Etat. A partir du moment, vers le milieu des années 1970, où l’Etat cesse d’être souverain pour se soumettre à des puissances économiques privées, le monde politique devient, comme dit Zappa, « le secteur "divertissement" du monde industriel et financier ».

Les hommes politiques se doivent alors de se comporter comme des comiques de stand up, ce qui désamorce la fonction du comique de stand up lui-même et la cantonne à l’accompagnement du véritable comique : l’homme politique.

De même aux Etats-Unis, avec Lenny Bruce : la forme des interventions proposées par Andy Kaufman devient intéressante parce qu’elle ne se pose pas en opposition à celle de l’homme politique mais prend, à mon sens, la forme de ce que présente le véritable homme politique, en se mettant au cœur de la construction mentale qui préside au processus d’individuation de l’homme moderne.

Le système mental opéré par la télévision étant le miroir du cerveau de l’homme moderne, montrer l’illusion sur laquelle est fondé ce système change totalement le rapport que l’homme peut avoir avec son propre monde. Andy Kaufman active le yogi qui est en le téléspectateur. Il lui montre qu’il peut être délivré, et lui dit : « Cesse de croire, vois. »

Le désarmement des Chevaliers sauvages se fait devant les caméras de télévision, avec une émission Droit de réponse de Michel Polac, en 1982, consacrée à l’arrêt de la publication de Charlie Hebdo.

Comme tu développes par ailleurs une pensée de la télévision comme puissance gnostique ayant échoué. Comment positionnes-tu cet épisode de Droit de réponse dans ces problématiques gnostiques télévisuelles ?

Cette émission montre la réappropriation de la violence et de la transgression par l’institution. À partir de cette émission, les coups ne seront plus portés par les chevaliers sauvages de Hara-Kiri contre ce monde, mais par la télévision contre tout chevalier sauvage potentiel, c’est-à-dire le téléspectateur. Le téléspectateur devient la cible et le suppôt d’une expérience globale qui le broie : de perpétuels plateaux de télévision et débats de société, formant le mode permanent des échanges entre les différents acteurs de la société, des échanges totalement biaisés, où la violence s’exercera toujours par les forts contre les faibles.

Depuis qu’est arrivé le plateau de télévision, les personnes qui s’y rendent entrent dans un rapport d’intensification par rapport à leur propre égo. C’est quelque chose de très grave : le plateau de télévision fonctionne exactement à l’inverse d’une scène initiatique, où l’enjeu est la délivrance. Là, c’est l’intensification des passions qui compte.

Sur un plateau télévisé, il est très rare qu’on voie deux protagonistes polémiquer de façon décontractée. Ça monte toujours, la montée aux extrêmes est consubstantielle, et si elle n’a pas lieu assez vite, le présentateur y pourvoira. Dès Droit de réponse, les professionnels de la télé comprennent que les téléspectateurs restent sur la chaîne quand ça gueule. L’ensemble est une corrida, ou une tragédie.

Quand on regarde cette émission Droit de réponse en minutant la répartition du temps de parole, l’hypocrisie devient criante : ce sont seulement ceux qui n’ont rien à dire qui ont le droit de parler. Polac a invité la rédaction de Charlie Hebdo sur le plateau pour en faire les spectateurs passifs de leur propre enterrement. C’est d’une violence inouïe.

Et pour couronner le tout, dans la dernière partie de l’émission, Bernard Tapie déboule et empoche le morceau. Il se présente comme un jeune patron moderne, qui ressemblerait davantage à l’équipe de Charlie Hebdo qu’aux patrons à l’ancienne. Il a l’air sympathique et dit même que racheter Charlie pourrait être une bonne idée. Tout est dit des trente années qui allaient suivre, c’est un moment clé du basculement du monde et des rapports de force.

J’ai essayé, avec cette émission que j’ai regardée dans les moindres détails, de faire une exégèse du plateau de télévision. Donc de le regarder comme si c’était une œuvre d’art, une œuvre d’art maudite. A l’intérieur de cette œuvre, il y a énormément de choses qui sont de l’ordre du régime de vérité. On pourrait prendre, par exemple, un épisode de Ciel mon mardi !, de Ce soir (ou jamais), ou d’Apostrophes, et y réfléchir en termes de rapports de forces : ce qu’il veut démontrer symboliquement, ce qu’il démontre malgré lui, ce qu’on comprend qu’il ne veut pas montrer, la place du présentateur, comment il répartit les forces, etc. Il faut vraiment prendre ces émissions de télé comme des pièces de théâtre, et les analyser comme telles.

Le renversement des possibilités gnostiques de la télévision s’est fait avec le renversement de la société, dans la deuxième moitié des années 70, avec la fin de la souveraineté des Etats, les crises économiques, les chocs pétroliers, le chômage. Les impulsions utopiques de la première moitié des années 70 sont enrayées, et laissent place à la « Nouvelle Société », et à la prise des oripeaux de la transgression et de la liberté de mœurs par le pouvoir le plus injuste. Tout ce qui était attendu du chef en termes d’ascèse et d’austérité se renverse, et fait place à une figure du chef à laquelle on attribue les qualités de la star : une vie plus intense, des mœurs plus dissolues, et le sens de l’humour, qui est absolument obligatoire.
Ce nouvel appareillage émerge car le cœur du pouvoir s’est déplacé vers le monde industriel et financier, contre lequel les hommes politiques ne peuvent strictement rien. Nous y sommes encore aujourd’hui : lorsque le Premier ministre grec propose un référendum pour savoir si le peuple accepte ou non un plan de la Commission européenne, il est viré, et on met un banquier à sa place.

Là, la question de la démocratie ne se pose même plus. On est arrivé au moment dont parlait Zappa, quand il dit que l’illusion de la liberté ne perdurera que tant qu’elle sera encore possible, mais que très prochainement, ils enlèveront aussi les rideaux, la petite scène de théâtre, la petite table avec les gobelets et la sangria, et que nous verrons le mur de briques derrière nos vies. Voilà : cette illusion de la liberté, cette illusion de la démocratie est maintenant tombée. Il reste à savoir ce qu’on va faire avec ça.

Tu écris que dans les années 80, la culture populaire n'a pas triomphé, mais a été remplacée par son succédané.

Pour citer encore Zappa (parce que je cite toujours beaucoup Zappa), il y a eu de la bonne musique dans les années 60 parce que les patrons ne savaient pas ce qu’ils faisaient avec la musique : ils prenaient des groupes, leur faisaient faire un album, et voyaient si ça leur rapportait de l’argent ou non. Mais à partir du milieu des années 70, une nouvelle génération de patrons a pensé savoir ce que le public attendait, et est intervenu dans la question des goûts de l’auditeur ou du spectateur.
Ce qui a été produit à partir de là n’a été qu’une pâle copie de ce qui avait été fait précédemment. Dans le cinéma, par exemple, après toute la période du Nouvel Hollywood, il y a eu dans les années 80 un énorme retour des thèmes et des codes des années 50 : le triomphe de la famille, de la vie petite bourgeoise ordinaire, etc.

Quand on voit un film américain des années 70, comme All the President’s Men ou The Parallax View, d’Alan Pakula, puis quand on voit le cinéma américain des années 80, il est très clair qu’il y a une reprise en main par les studios, avec un contrôle sur le contenu.

D’un côté, les Etats cèdent la main à l’hyperlibéralisme économique où on laisse faire les choses en pensant que ça s’équilibrera tout seul, stoppent le dirigisme politique de l’économie, et d’un autre côté, le dirigisme arrive au niveau culturel. C’est le même déplacement que celui qui transforme la figure de l’homme politique en humoriste. A partir du moment où l’Etat accepte de ne plus rien pouvoir, en termes politique, social et économique, il se met à agir en termes culturel et sociétal, qui sont ses derniers points d’appui.

La culture populaire est alors écrasée, et il est significatif qu’elle ne parle alors plus du tout de nomadisme, de recherche de la vérité ou de guerre contre la société. Elle parle plutôt de s’épanouir dans le couple, ou de s’épanouir dans le travail, ou de devenir le plus riche. Elle se retrouve irriguée par les valeurs du libéralisme, qui en étaient totalement absentes dans les années 60 et 70.

Il y a bien sûr énormément de contre-exemples, parce que la culture populaire continue à exister qu’on le veuille ou non, il y aura Nirvana, il y aura les Pixies, et d’autres, mais qui devront se battre contre tous ces groupes pour stades, toutes ces gigantesques machineries au format MTV, qui vont devenir la pseudo culture pop.

Dans ce contexte, le cas de Lost - le sujet de ton précédent livre - est assez particulier, parce qu’il est totalement pris dans cette machine à produire du succédané de culture pop, mais il va tout de même porter des problématiques gnostiques, réorienter le spectateur.

Fonctionner comme un système de réorientation est tout l’enjeu de la culture populaire de ces dernières années. Elle sait qu’elle ne peut s’exprimer que dans un monde entièrement construit par les puissances contre-initiatiques de la télévision et de cette culture succédanée, mais elle va tenter d’y faire un trou. Andy Kaufman, à ce niveau, est un prophète. Andy Kaufman, Twin Peaks, Lost fonctionnent sur le même mode : refaire voir le monde selon les principes traditionnels, et non plus selon le système politique de l’époque. Si tout ceci est possible, c’est parce que leurs auteurs savent que ce système politique va s’effondrer. Lost ne peut naître qu’à partir du moment où les Occidentaux savent qu’ils ne peuvent plus rien dans leur monde, qu’ils ne pourront jamais s’épanouir dans leur société.

Il est difficile de parler de ce basculement parce que nous sommes encore dans la période à laquelle il a abouti. Cependant, si nous commençons à pouvoir en parler, c’est que nous commençons à en sortir, c’est toujours pareil.

Est-ce qu’il reste aujourd’hui une valeur possible pour l’humoriste médiatique, qui n’a jamais été aussi présent ? Est-ce qu’il y a encore la possibilité d’un humour de guerre aujourd’hui ?

Pour moi, franchement, non. Ça me semble complètement contreproductif. On me prouvera le contraire, peut-être. Comme ceux qui tiennent le haut du pavé de la provocation sont désormais Nadine Morano, Frédéric Lefebvre, Manuel Valls, etc., se confronter à eux sur ce terrain-là, c’est devenir leur sparring-partner, ce que je trouve parfaitement inutile.

Mais il n’y a pas que l’humour qui est drôle, dans le rire. Je doute que Trey Parker et Matt Stone, les créateurs de South Park, se considèrent comme des humoristes. Andy Kaufman avait déjà refusé cette appellation.

Un autre Kaufman, Charlie Kaufman, joue avec des formes très « post-humoristiques » : après Being John Malkovitch, ses films sont de moins en moins drôles, plus angoissants que comiques, mais avec les outils du gag, une mécanique de répliques et tout le staccato de l’humour. Ce ne sont plus des figures d’humoristes. Je pense qu’il faudra attendre que la figure de l’humoriste soit vraiment renouvelée pour qu’elle retrouve du sens.

Certes, il n’y a jamais eu autant d’humoristes en France, mais ça n’a jamais été aussi sinistre, ils n’ont jamais été aussi vains.

Qu’est-ce qui te faire le plus rire ces derniers temps ?

Les statuts Facebook et les tweets me font plus rire, en général, que n’importe quel gag. Ou des mèmes, des Tumblr. Les commentaires Youtube sont la plus grande manne. Ce qui est drôle aussi là-dedans, c’est le caractère éphémère, le quasi-anonymat. Il y a beaucoup de choses très drôles qui sont sans auteur.

Il y a eu un tweet extraordinaire il y a très peu, en réponse à un tweet de François Hollande disant « Ai profité de ma visite de la capitale de la chaussure pour m’équiper d’une paire », et la réponse était « t’aurais dû visiter une fabrique de couilles ». Le parallèle entre le tweet de Hollande et la réponse venue d’un inconnu était infiniment plus drôle que ce que tous les comiques peuvent faire, parce que c’était beaucoup plus rapide. Les comiques sont trop lents, ils ne sont pas capables d’aller à la vitesse des communicants. La communication politique va plus vite qu’eux, parce que la politique n’est plus dopée qu’à la vitesse de la communication.

Les personnalités politiques ont grosso modo pour seule et unique occupation de faire des gags. Ils se fichent complètement de savoir comment diriger le pays, ce qui leur importe c’est de pouvoir en permanence répondre du tac au tac aux attaques. C’est ça qu’ils travaillent. Par contre, les petits anonymes qui s’emmerdent toute la journée au bureau, eux, peuvent avoir la vitesse suffisante pour répondre. Ce ne sont pas des professionnels, ils peuvent être drôles un jour sans avoir l’obligation de continuer à l’être.

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