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De victoire en victoire jusqu'à la défaite absolue
Paru en 2015

Contexte de parution : A. S. Velasca (asvelasca.it)

Présentation :

Ce texte est paru en italien sur le bulletin numéro 6 du club italien de football l'A.S. Velasca de Milan. (disponible ici).


Cité(s) également : plusJésus-Christ, Judas Iscariote, Ponce Pilate




Nous vivons aujourd’hui dans un monde qui a été, d’un bout à l’autre, façonné par le sport. Sans parler de la politique bipartite où la gauche libérale et la droite libérale sont comme deux fines équipes bourrées de stupéfiants jouant devant leurs électeurs-spectateurs qui les regardent s’affronter en mangeant des popcorns, la Terre est devenue un terrain vert à ciel ouvert. Toute personne s’engageant dans un travail, une carrière, un projet, un mariage, un amour, l’école, est soumis à une évaluation de type « compétition / lutte acharnée / prolongations / victoire ou défaite » au point que le miracle de la naissance même est désormais envisagé comme un super-sprint où le spermatozoïde doit battre tous ses concurrents pour atteindre la gloire suprême : devenir l’embryon d’une vie à naître !

Tu parles d’une victoire. Naître, c’est déchoir. C’est tomber de l’existence spirituelle, dans une forme qui nous aplatît et nous humilie. Et toute récompense dans ce monde est une sorte de baiser de Judas ou de suçon du diable. Tous les êtres mystiques le savent : la « récompense » est le signe que la divinité se retire de nos vies. Le sport, c’est bien, mais il reste enfermé dans l’obsession de la réussite, l’obsession absurde de la victoire qui enlaidit, qui salit, qui détruit tout. On dit que « L’important n’est pas de gagner, mais de participer » et cela est juste, mais insuffisant. Il faut aller plus loin. L’important ne devrait pas être de participer, mais de ne pas gagner ; il faut apprendre à voir dans la victoire terrestre le signe d’une damnation céleste – en accord avec la parole du Christ « Les premiers sont les derniers. » Seuls ceux qui échouent sont beaux. Seuls eux sont divins. On n’imagine pas Jésus luttant contre les Romains et gagnant – achevant l’Evangile avec Ponce Pilate et Judas tous les deux sur la croix comme des cons et Jésus se mariant avec Marie-Madeleine et ayant beaucoup d’enfants.

L’équipe de football vraiment moderne pratiquera la décroissance dans l’obsession de la victoire, et le mépris devant la récompense ; l’équipe de football ira, de match en match, jusqu’au dégoût de la réussite et au plaisir dandy de ne pas « marquer ». Elle ne se contentera pas de perdre, elle empêchera les autres de gagner. Tourner autour du but, rendre l’équipe adverse folle, ne jamais les laisser marquer et ne jamais marquer non plus… Rendre le « marquage de but » de plus en plus incertain… Un jour viendra où presque plus aucun but ne sera marqué… Le monde sera suspendu à un ballon tournant autour de la Terre sans jamais s’arrêter… Il n’y aura plus de gagnants ni de perdants, mais nous serons tous frères devant l’absolu du Jeu.