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Wherever you go, there you are
Paru en 2015

Contexte de parution : Facebook

Présentation :

Post Facebook du 2 novembre 2015.


Sujet principal : Jorge Luis Borges
Cité(s) également : plusDamon Lindelof, Thelonious Monk, Woody Allen




Je suis au Cimetière des Rois à Genève (ceci n’est pas un rêve). Je rends visite à la tombe de Jorge Luis Borges – comme je l’ai fait une trentaine de fois déjà, comme je l’ai fait à chaque fois que je vais à Genève depuis 1991. J’ai un air de Monk dans la tête, probablement parce que c’est à Genève que j’ai commencé à écouter Thelonious Monk, en 1990, après avoir vu Alice de Woody Allen, un film franchement pas génial mais où apparaissait une pochette de 33 tours avec son visage de profil (Monk’s Dream) alors qu’on pouvait entendre une ballade sublime de lui dans la bande-son. Et surtout j’ai une question importante à poser. Je pose ma question et tire la réponse à pile ou face. Mais, pris d’une curiosité fébrile, je lance la pièce avec un peu trop d’énergie et elle se retrouve sur le gazon derrière moi, en équilibre sur la tranche, ne répondant ni pile ni face et, comme qui dirait, "en suspens".

Je me retourne pour ramasser ma pièce et la relancer. Mais, une fois tourné sur moi-même, je ne la trouve plus ; je balaie le gazon du regard, mais c’est comme si elle avait disparu. Je cherche pendant plusieurs minutes qui me semblent une éternité : rien.

"Elle est tombée dans un Aleph, c’est ça ?" demandé-je en riant à la tombe de Borges. Je n’insiste pas, je fais une rapide prière et repars mais finalement arrivé, à la porte du cimetière, je me dis : "Non, ce n’est pas possible, c’est ridicule, retourne chercher ta pièce de monnaie mais ne repose pas ta question et surtout ne la relance pas." J’y vais et là elle est parfaitement visible, lumineuse, toujours en équilibre sur la tranche, toujours "en suspens".

J’ouvre L’Or des Tigres sur mon poème préféré du recueil et lis en silence, en hommage à Borges, à Monk et à Damon Lindelof :

"Qu’importe notre lâcheté s’il y a sur la terre un seul brave
"Qu’importe la tristesse s’il y a eu dans le temps quelqu’un qui s’est dit heureux
"Qu’importe ma génération perdue, ce vague miroir, si tes livres la justifient
"Je suis les autres. Je suis tous ceux qu’a rachetés ta rigueur obstinée
"Je suis ceux que tu ne connais pas et que tu sauves."