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Une pensée pour ceux qui restent
Paru en 2016

Contexte de parution : Le Feu Sacré

Présentation :

Texte écrit pour le blog des Editions Le Feu Sacré à l'occasion de la fin de la saison 2 de The Leftovers.


Sujet principal : Damon Lindelof, The Leftovers
Cité(s) également : plusmenu_mondes.pngLostmenu_mondes.png, menu_mondes.pngTwin Peaksmenu_mondes.png




Tu n’es pas capable de comprendre The Leftovers. Pas pour l’instant. Tu n’es pas capable de te l’expliquer. Tu vois et tu revois à nouveau. Il y a une multitude d’instants où tu exploses en sanglots – sans que tu ne comprennes pourquoi. A la fin de presque chaque épisode tu pleures sans pouvoir t’arrêter. Rarement une série n’a eu autant d’importance pour toi. Il y a eu Twin Peaks il y a 26 ans ; il y a eu Lost il y a 10 ans. Et tu as l’impression que The Leftovers va encore plus loin, mais tu ne sais pas pourquoi. Tu es sûr que tout ça veut dire quelque chose de très important mais tu n’es pas capable de dire quoi. L’anamnèse tarde à venir, et tu es plongé dans l’angoisse d’un message qui t’est adressé dans une langue que tu es incapable de traduire. Et pourtant…

Et pourtant Damon Lindelof ne cesse de te dire que, tout ce que tu as besoin de savoir est déjà en face de toi. Tout ce que tu as besoin de savoir, tu le sais déjà. Il le dit par l’intermédiaire de ses personnages. Patti le dit à Kevin à la fin du 8e épisode de la 1ère saison, au moment de mourir. Et Evangeline l’écrit à Erika dans le dernier épisode de la 2e : You understand. Tu comprends. Peut-être que tout est déjà là, mais que tu ne le vois pas parce que tu désires de toutes forces voir autre chose. Comme dans ce premier épisode de la 2e saison où on ne cesse de te montrer que Evangeline est en train d’organiser sa propre disparition mais où tu ne veux pas le voir, et tu continues de croire qu’un deuxième « Sudden Departure » a eu lieu. Tu n’es pas le seul à croire ça. Kevin le croit. Michael le croit. Même le fantôme de Patti le croit (signe que ce n’est pas un vrai fantôme, ou alors que les fantômes sont aussi perdus que nous). Et pourtant : tout était là. Il y avait même cette séquence de télévision qui informait de la fraude d’un des acteurs du sit-com « Perfect Strangers » au cas où tu ne sois pas capable de voir ce qui était tout simplement sous tes yeux. Et pourtant, et pourtant…

Dans Lost, il y avait l’île – et tout pouvait être interprété à partir de l’île. L’île comme centre initiatique principal et comme symbole – le lieu du dépôt de la connaissance non-humaine d’où partent les lois de notre cycle de manifestation. Dans Lost, les personnages étaient des candidats au remplacement de Jacob, et toi, en tant que spectateur, tu pouvais lire ton destin à travers le leur. Comme eux tu étais perdu ; comme eux tu avais été choisi. Dans The Leftovers, les personnages sont tout aussi perdus que dans Lost, mais il n’y a pas d’île pour qu’ils se retrouvent et se réapproprient le potentiel dont le monde moderne les avait privé. Si, dans chacune des deux saisons, un lieu – Mapleton, Jarden – est traversé et détruit, à presque chaque instant, une interprétation possible de la série l’est aussi. La seule chose qui n’est pas détruite, c’est l’intuition que certains personnages savent. Mais lesquels ? Et quoi ?

Partout dans The Leftovers, il y a des vides, des failles, des brèches, des paroles manquantes et des signes que nous n’arrivons pas à interpréter. C’est comme si nous devions retrouver intégralement en nous le miroir par lequel les images devaient être lues et interprétées. Lost parlait de la façon dont le monde pourra recommencer. The Leftovers parle de la façon dont il finit et ce qu’il attend de nous pendant le temps de la fin. Il attend de nous que nous acceptions le fait de comprendre, au-delà de ce qu’il nous dit explicitement et surtout au-delà de ce que nous voulons comprendre. Nous devons devenir des spectateurs actifs, capables de lire à travers les signes ce que la série attend de nous. Nous devons dépasser notre tendance à nous auto-illusionner pour entendre vraiment la parole qui traverse l’espace tourbillonnant de la série et du monde. Peut-être que le temps de l’exégèse touche à sa fin, entrainant une nouvelle époque de prophétie. Peut-être que le temps de l’explication atteint son terme, ouvrant une nouvelle ère de poésie, de claire audience et de visions. Peut-être que, à notre tour, nous devons devenir voyants.