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L'Homme de Mandico
Paru en 2016

Contexte de parution : Mandico in the Box (Malavida)

Présentation :

Texte pour le livret de la première diffusion d'un coffret DVD des courts-métrages de Bertrand Mandico : Mandico in the Box.


Sujet principal : Bertrand Mandico
Cité(s) également : plusAndrzej Zulawski, Arnaud Desplechin, menu_mondes.pngDavid Lynchmenu_mondes.png, François Truffaut, Fred, George Lucas, Gérard de Nerval, Jacques Rivette, Jean Cocteau, Roland Topor, Steven Spielberg, Tod Browning, Walerian Borowczyk




Les films de Bertrand Mandico appartiennent à l’Histoire des hérésies. On dit des démons que ce sont des dieux dont le culte a cessé d’être perpétué par la société des hommes. Le cinéma d’aujourd’hui est un Satan. A partir du moment où un art populaire cesse d’être vécu collectivement, il devient une hérésie. Mais c’est également l’instant, rapide comme le battement des ailes de l’Ange, où il peut explorer ce qui n’appartient qu’à lui. Sa pratique s’intensifie au point que tous ses officiants semblent possédés de fureur érotique. Ses narrations deviennent des enquêtes sur les modalités de sa propre activité magique. Toutes ses images sont précises comme des sorts.

Les films de Bertrand Mandico appartiennent à l’Histoire des légendes urbaines. Longtemps aussi mythiques qu’invisibles, on avait l’impression qu’ils se transportaient jusqu’à nous comme des déesses aux multiples visages, enrobés d’une nuée électrique d’attente et de mystère. Heureux comme Ulysse, le spectateur devait naviguer entre les festivals et les rétrospectives pour attraper du regard chacun d’entre eux. Mais une fois qu’il en avait vu un, il ne pouvait plus en sortir : le film le gardait auprès de lui magiquement comme Circé. La salle de cinéma restait dans son souvenir comme un temple orphique pleine de statues humaines où il aurait assisté à l’invocation rituelle d’une déesse de chair luxuriante, pleine de fruits qui mûrissent et de fleurs qui fanent.

Les films de Bertrand Mandico appartiennent à l’Histoire des univers parallèles. Malgré les cinéastes du Nouveau Monde qui, de Tod Browning à David Lynch, se retrouvent, en énigme, dans ses images – le cinéma de Bertrand Mandico est délibérément déshollywoodianisé. C’est le cinéma d’un monde miroir où la Californie n’existe pas. En soustrayant de son Histoire la Géographie principale du cinéma, Betrand Mandico a fait de sa pratique un messianisme sans terre promise. Polonais, russe, italien, japonais, il en a fait un médium méconnaissable qui tourne le dos aux années 80-90-00-10 et à la réinscription du cinéma comme illustration de la politique américaine de remodelage du monde et d’ « exportation » de la démocratie. Un médium qui tourne également le dos à la production « intimiste » française et à cette focalisation ridicule sur « le couple », « les petites histoires », « la vie quotidienne ». Les films de Bertrand Mandico sont le cinéma de cet univers parallèle où la France a suivi la ligne magique représentée par Cocteau et Rivette plutôt que la pente « roman bourgeois » de Truffaut et Despléchin. Le cinéma d’un univers parallèle où c’est Walerian Borowcyk et Andrzej Zulawski qui ont influencé les jeunes apprentis réalisateurs des années 80 plutôt que Steven Spielberg et George Lucas. Le cinéma d’un univers parallèle qui aurait célébré les dessins de Topor, les bandes dessinées de Fred. Le cinéma d’un monde où Nerval serait roi.

Avec ce coffret maintenant entre vos mains comme un « temple portatif », les films de Bertrand Mandico pourront se revoir et se vivre en boucle chez vous. Ils transformeront vos appartements en grottes cosmiques de chair chaude. Ils vous plongeront dans ses dialogues drôles, suspendus et cruels comme dans un bain moussant. Mais plus vous les reverrez, et plus ils vous verront et vous influenceront – et vous muterez ensemble pour devenir cet espèce de mutant aux paupières pourpre et or que ses films appellent : une para-humanité rigoureuse comme l’érotisme, excitante comme l’arithmétique, bouleversante comme la logique, précise comme la folie, anxieuse comme l’aurore ; une para-humanité aussi fabuleuse que l’abominable homme des neiges, le monstre du Loch Ness, le Manticore ou le Berbalang : quelque chose comme « L’Homme de Mandico ». Les films de Bertrand Mandico appartiennent à l’Histoire de la zoologie fantastique.