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Et dans la tiédeur de la nuit
Paru en 2007

Contexte de parution : ICI-BAS (laguerretotale.blogspot.fr)

Présentation :

Pour le blog « Ici-Bas / La Guerre Totale », entrée écrite en décembre 2007


Cité(s) également : plusArnold Schwarzenegger, Henry Kissinger, Herbert Tingsten, Jacques Chirac, Michel de Montaigne, Nicolas Machiavel, Nicolas Sarkozy, Ronald Reagan, Solon




Pour filer la métaphore proposée naguère par M. Chirac, le président de la république n’est pas un simple spectateur de la société ; c’est un acteur, et même son acteur principal. Si cet acteur vient à manquer de champ disponible pour l’exercice de son action, voire de dialogues pour l’expression de ses sentiments, alors le film retombe, le scénario s’effrite, et les spectateurs quittent la salle. Notre proposition va dans le sens du chef de l’état actuel, et la grandeur de nos vues doit être lue et comprise relativement à l’ambition du projet de celui-ci, dans lequel la part importante de travail sur une plus pleine visibilité ne nous a pas échappée. Néanmoins, nous pensons que M. Sarkozy, encore trop sensible aux ravages de cet élément mystique qu’il nomme, après M. Kahn, la « pensée unique » (mais nous admettons ignorer les composantes de ce fluide), ne va pas assez loin dans sa proposition actuelle, qui est de renforcer l’autorité du président. La priorité devant être donnée à la sécurité, les pleins pouvoirs doivent être immédiatement données à celui-ci, sans même qu’il ne soit nécessaire d’en passer par la décision du parlement ou qu’un état d’exception quelconque ne soit instauré. Cependant, de manière à soulager la sensibilité du public, nous lui suggérons ici-bas quelques restrictions dont le seul but sera de démontrer la pureté de ses intentions. Elles répondront ainsi assez à l’inquiétude de tous les nostalgiques de la révolution pour qui « quand les pouvoirs publics violent les libertés fondamentales et les droits garantis par la constitution, la résistance à l’oppression est un droit et un devoir du citoyen. »

Faut-il rappeler que la loi suprême en politique n’est pas le salut de l’âme mais le bien public ? Et que, comme le rappelle Montaigne, « le bien public requiert qu’on trahisse et qu’on mente et qu’on massacre » ? C’est pour n’avoir pas compris cette règle de conduite que le public américain continue d’éprouver une antipathie considérable à l’égard de M. Kissinger, qui n’a fait, durant l’ensemble de sa carrière, guère plus que d’appliquer son petit « Machiavel For Dummies » à toute espèce d’occasion. Il faut cependant ajouter que si l’opinion public est défavorable à l’homme qui exécute son bien, quelque soit la pureté de ses intentions à son égard, alors il s’éloignera d’autant de la réalisation des objectifs qu’il s’est fixé et ne pourra continuer son travail dans de bonnes conditions. C’est pourquoi le dispositif que nous proposons de mettre en place doit permettre au politique d’exercer le bien public tout en conservant de son côté l’adhésion populaire. « Les meilleures lois, disait Solon, sont celles que les peuples sont aptes à recevoir. » Le peuple que nous connaissons aujourd’hui est arrivé à un tel point d’indocilité et de rejet des lois, qu’à moins de basculer en dictature (ce qui ne pourrait être réalisé qu’à affaiblir le pays par une guerre civile, toujours désastreuse en matière d’économie) nous nous voyons dans l’obligation de lui donner des gages de sincérité. Et c’est bien là l’objectif du dispositif que nous proposons.

Selon Tingsten, la caractéristique des régimes parlementaires modernes est l’extension des pouvoirs de l’exécutif dans le domaine législatif au moyen de la promulgation de décrets et de dispositions diverses, conformément à la délégation opérée par les lois dites de pleins pouvoirs. Or, bien qu’un usage temporaire et contrôlé des pleins pouvoirs soit théoriquement compatible avec les constitutions démocratiques, un exercice systématique et régulier de l’institution conduit – selon l’auteur – « nécessairement à la liquidation de la démocratie ». Ainsi, selon Friedrich, « il n’y a aucune sauvegarde institutionnelle capable de garantir que les pouvoirs d’urgence seront effectivement employés dans le but de sauver. Seule la détermination du peuple lui-même à vérifier qu’ils sont employés dans ce but peut s’en assurer. » C’est en réponse au pessimisme indécrottable de nos juristes que nous avons décidé de proposer au chef de l’état la mise en place de certaines dispositions nouvelles, dispositions de pure forme, dont les contraintes légères qu’elles entraîneront dans le cours de sa vie affective seront assez largement compensées par la confiance instaurée par celles-ci dans la vie de ses sujets. De manière à conserver les privilèges reconnus de la démocratie, le souverain, accédant légitiment aux pleins pouvoirs, sera donc cependant contraint d’exercer ceux-ci dans une durée limitée à l’avance, très strictement : cinq ans. Ainsi, il démontrera que ce qui semble aux yeux de ses adversaires un état d’exception est en réalité juridiquement ordonné, et présente une situation bien différente de l’anarchie ou du chaos. Si il voulait déroger à cette règle ou se donner les moyens d’un coup d’état, il y aurait ouverture d’un droit inconditionné à l’homicide de chef d’état. Et cet homicide, non passible de mesures judiciaires, posséderait les moyens, chéris des français, du jeu vidéo : l’accès à l’ensemble des caméras de surveillance, une armée de joueurs entraînés à l’exercice de la violence, des armes pour exercer des frappes chirurgicales sur un choix précis de cibles : à savoir la femme du souverain, ses enfants, ses amis les plus célèbres, les membres de son ministère, par ordre croissant de tendresse éprouvée par le souverain à leur égard.

En outre, si le temps de son mandat, le président peut exercer effectivement un pouvoir qui n’est entravé ni par l’assemblée ni par la chambre, il faut que ce rôle ne soit tenu que par des personnes dont l’intégrité et l’ambition soient pures de toute intention vénale. C’est pourquoi nous proposons un emprunt des personnes les plus chères au cœur du souverain par le peuple français, emprunt bien entendu ponctuel et qui ne dépassera pas la durée de son mandat. Le président devra donc livrer, par simple mesure de confiance, sa famille à un groupe de citoyens tirés au sort. Cette mesure, certes d’importance nulle a priori, aura des effets très positifs sur les décisions du président. Se trouvant en dehors de l’ordre juridique normalement valide et lui appartenant cependant, démontrant ainsi le caractère asymptotique de la Loi, parce qu’il est responsable des décisions prises pour l’ensemble du pays mais échappe ainsi à l’ensemble du champ juridique, il est nécessaire d’exercer à son égard une rigueur relatif à ses devoirs. C’est le sens de cette ponction momentanée de la tendre prunelle de ses yeux, ponction encore une fois dont l’exercice resterait purement virtuel, étant donné la certitude que celui-ci ne déméritera pas à la tâche qu’il s’est, depuis sa tendre enfance, confié. De plus, si il s’averrait que le président faisait un usage critiquable des pouvoirs qui lui sont conférés par le peuple français, échappant par sa fonction au champ juridique traditionnel, le peuple français serait néanmoins en mesure de se rembourser en nature sur les membres de sa famille. Cette clause, certes âpre, aura pour condition l’impossibilité à toute personne non qualifiée de s’enquérir d’une tâche aussi grave que celle de chef d’état, l’histoire nous ayant montré trop d’exemples d’individus simplement ambitieux ou appâtés par les nombreux avantages habituellement attachés à cette tâche.

À travers l’émission de ce qu’aucun appelèrent des spams présidentiels lors de sa campagne, M. Sarkozy a montré une fois de plus la modernité de ses vues concernant la traditionnelle séparation d’un espace public et d’un espace privé. Nous lui en sommes grès, car il a conséquemment avancé dans la compréhension qu’une fusion s’avère désormais nécessaire entre l’exécutif, le médiatique et le religieux. À l’instar de l’ancien président italien, il nous serait loisible de fondre en une autorité les pouvoirs exécutifs et médiatiques (opération déjà entamée, de nombreux hommes politiques et médiateurs ayant déjà, si je puis dire, mélangé leur liquides à travers les liens sacrés du mariage ou profanes de l’adultère) ; mais nous avons également beaucoup à apprendre de l’Angleterre, où le chef de l’état et le leader religieux ne font qu’un, entraînant ainsi une refonte de la notion particulièrement floue de laïcité. Enfin, dans les personnes de Ronald Reagan et d’Arnold Schwarzenegger, les Etats-Unis ont démontré qu’il serait judicieux, en termes d’engouement populaire, de faire une l’industrie du cinéma (principalement le domaine de l’actorat) et la représentativité politique. Ainsi, la France, jadis guide des peuples, doit de nouveau montrer le chemin et synthétiser l’ensemble de ses fonctions, en les incarnant en un seul corps de visibilité : celui du souverain, simultanément chef de l’état, chef de l’armée, chef religieux et superstar. Mais à cet immense progrès, il faudra néanmoins un homme prêt à l’accomplir dans toute sa rigueur. Car si nous connaissons les éminentes qualités d’un pouvoir fondé sur la visibilité de soi par tous, nous en savons, hélas également, la faille principale. C’est la jalousie, entraînant une gamme étendue de conséquences dont la moindre est l’amertume et la pire l’assassinat pur et simple du jalousé. Car l’homme n’est pas naturellement bon et, l’Histoire nous l’a assez prouvé, notre pays n’est pas exempte d’une tradition de régicides. Un seul individu cumulant la totalité de ces mandats serait une cible trop évidente pour des êtres poussés par la haine de la réussite, les commérages de l’opposition ou la folie. Pour pallier à une telle éventualité, il sera nécessaire que le président assouvisse en conséquence les désirs de son peuple et autorise un sacrifice quotidien de son corps, rendu souple à tout usage de la part du citoyen, mais bien évidemment exempt de toute violence autre que sexuelle : sacrifice d’une noblesse qui ne fera que rayonner davantage dans le regard de ses sujets. Cette condition nécessaire, assumant ainsi de très nombreuses doléances, ne pourra s’exercer sans restriction temporelle sous peine de rendre le souverain, si souvent le cul ou la bouche pleine – excusez-moi la brutalité de la formule – inapte à ses fonctions ; elle sera dès lors organisée en restreignant les visites de réparation spirituelle citoyenne à une durée d’une heure, entre 17 et 18 heures. Cet événement sera naturellement retransmis sur la totalité des chaînes de télévision du service public. Une heure de sacrifice contre 23 autres de souveraineté n’est pas cher payé pour un homme dont l’essence est de diriger les autres, et la volonté celle de gouverner, ainsi qu’il lui est légitime, de par la force de sa nature.

Mais quid de la fin du mandat ? demanderont quelques âmes frivoles, ignorant que nous avons déjà réfléchi amplement à ce point. Le président incarnant pendant celui-ci le caractère asymptotique de la Loi, il atteint au cours de celle-ci un état pour ainsi dire pléromatique. Pour un chef d’état, la fin du mandat ne peut donc en aucune façon équivaloir à celui d’un retour à l’état de citoyen. Il est nécessairement dans une zone de non-retour, où, dès lors, nulle loi ne peut plus s’appliquer le concernant, mais une possibilité d’atteinte sans recours. Ce qui signifie que la fin de son mandat équivaudra pour le président à l’entrée dans une zone dite de non-droit. Là encore, c’est une bien petite contrainte en comparaison de la confiance qui est accordée à un homme par son peuple, et l’histoire nous a conté de nombreux exemples de bons souverains, qui n’auraient jamais pu craindre la vindicte de leurs sujets. La mise en danger du président est donc une clause purement virtuelle, et simplement représentative de ce désir que nous avons de produire, de nouveau, de l’amour, chez les dirigés, pour les dirigeants. Car aucun sacrifice n’est trop grand pour notre démocratie, moins que jamais le sacrifice d’un homme d’état apte aux plus hautes décisions ayant malheureusement démérité à la grandeur de sa tâche.