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Deus Ex Machina
Paru en 2007

Contexte de parution : ICI-BAS (laguerretotale.blogspot.fr)

Présentation :

Pour le blog « Ici-Bas / La Guerre Totale », entrée écrite en décembre 2007


Cité(s) également : plusCharlotte Rampling, Dominique Farrugia, Enrico Macias, Jean-Marie Bigard, John Lennon, Karl Marx, Napoléon, Richard Nixon, Tom Cruise, Yoko Ono




J’aimerais ne pas savoir de quoi ils parlent quand ils parlent de droite décomplexée.

J’aimerais vraiment ne rien comprendre à ce qu’ils disent quand ils parlent de non-repentance, de rupture, d’immigration choisie et d’identité nationale.

La vérité, c’est que je le sais trop bien. Ils parlent d’une droite psychotique : les 120 jours de Sodome interprétés par des flics qui se roulent des pelles et des top models qui jouent de la guitare en faisant l’amour sur des cadavres.

C’est une image de la droite qu’ils projettent dans nos cerveaux fatigués de jeunes gens horriblement vieux. Une image pure de la droite comme ordre cosmique et balancier de toutes choses. Un fantasme de droite se réalisant contre toute réalité. Une droite se fantasmant elle-même dans la dissolution de tout ce qui n’est pas elle-même. Une planète basculée dans la droite totale. C’est Kali qui se dévore elle-même dans un déchaînement de luxe soutenu par un appareil policier.

C’est Jajeemba : « Yeah, your baby cries !... Your sword flies !... Democracy dies !... Jajeemba !... Jajeemba !... »

Suzy est stupide mais ça n’a aucune importance : l’important, c’est qu’elle soit dingue. Et elle est dingue de la tête aux pieds. Regardons les choses en face : ce n’est pas le travail d’une banale névrosée que de prendre une starfucker comme petite copine et de l’amener au pays de Mickey avant de s’embarquer pour Louxor afin de se faire cocufier royalement une fois de plus dans une débauche de luxe suprême. C’est fait exprès : ça fait partie du jeu délirant dans lequel elle nous a plongé. Nous faire parler d’elle, tout le temps, nous montrer son image, tout le temps, nous rappeler à son bon souvenir, sans cesse. Il y a là quelque chose de si malade que, si vous étiez Suzy, votre femme prendrait la fuite plutôt que de rester auprès de vous. Jacques Martin a bien fait de mourir.

Mais c’est aussi pour ça que « ça marche ». Contre vents et marées, « ça marche ». Un « ça marche » qui rappelle celui de Tom Cruise au sujet de la scientologie. « La différence entre la scientologie et la psychothérapie, c’est que la scientologie, ça marche ». C’est vrai. Cette droite psychotique, c’est de la bonne came. C’est pour ça que toutes les stars – de Enrico Macias à Dominique Farrugia, de Jean-Marie Bigard à Charlotte Rampling – en veulent toujours un morceau plus gros, un bout du steak bien saignant de tous ceux qui crèvent quotidiennement de mauvaise conscience et de misère morale en les adorant comme des saints. Les stars françaises sont des zombies méchants. L’abus du luxe les a insensibilisé à tout ce qui n’est pas de l’ordre de l’émotion forte, et ce déchaînement de violence et de vulgarité est seul capable de leur rappeler qu’ils sont vivants – et tant pis pour les petits chinois qui meurent ou les grands noirs qui trinquent. Les sans-papiers sont à ranger dans la case des pertes et profits pour nos grandes âmes sensibles, toujours prêtes à se mobiliser pour vanter les mérites de la démocratie. Il y a tant à gagner émotionnellement à être du côté de la droite totale.

Cap au Pire : la métempsychose de Napoléon (qui complète Marx, puisque maintenant l’Histoire ne se répète plus deux fois mais trois : comme tragédie, comme farce et enfin comme film d’horreur), le mythe de l’homme providentiel (qui saccage tout sur son passage mais ne perd jamais une occasion de montrer sa gueule à la télévision en promettant de tout arranger), le retour du mythe de l’identité nationale (suppléant avec une insigne grossièreté à l’évidence de l’absence de moi), enfin la création de l’ennemi : si possible pauvre et sans ressources, histoire de pouvoir le bousiller très, très facilement. Il ne faut plus quitter l’axe du délire maintenant mais maintenir haut la poutre et tenir le cap. Oh les beaux jours. Mal vu mal dit. Catastrophe. Politiques mortes politisez.

Face aux stars et aux droitiers décomplexés, nous sommes tous de banals névrosés, vaguement schizophrènes, vaguement paranoïaques, mais fondamentalement inoffensifs. Nous, je veux dire ceux qui n’ont pas voté pour Suzy, et n’auraient pas voté pour elle pour rien au monde (et même si nous n’avions pas déjà vu ce qui se cachait dans les tréfonds de son âme depuis trop longtemps). Face à ceux qui se sont décomplexés en votant Suzy, nous sommes moins sûrs de nous que jamais, entravés par notre conscience réflexive, bêtement coupables, et personne ne nous pleurera quand nous serons morts. Ce n’est pas qu’ils aillent bien, faut pas déconner quand même. Ca aussi ça se voit, qu’ils vont très mal, les droitiers psychotiques. Ils vont très mal mais nous n’allons pas très bien : et ceux qui vont très mal gagnent toujours.

La seule manière de lui répondre, à Suzy, c’est à la façon des pêcheurs bretons :

« Qu’est-ce que t’ouvres ta gueule ? »

Qu’est-ce que t’ouvres ta gueule, qu’est-ce que t’ouvres ta gueule : il n’y a rien d’autre à lui dire. Le problème, c’est qu’elle ne cessera pas d’ouvrir sa gueule, Suzy. Jamais. Et, en attendant, nous n’avons d’autre choix que de créer suffisamment de silence dans nos âmes pour que naisse la parole vraie, l’ultime parole, celle qui pourra abolir la nuit. Comme John Lennon et Yoko Ono face à Richard Nixon, nous devons utiliser les méthodes interdites pour nous débarrasser de cette plaie : « Nous avons sorti les grands moyens contre M. Nixon. Oui, nous avons recouru à la magie, à la prière et aux enfants pour défendre notre juste cause. »

Nous devons devenir sorciers.