Pacome Thiellement.com

corpus_387_hopitallariboisiere.jpg
Hôpital Lariboisière
Fragments d'un exil occidental
Paru en 2008

Contexte de parution : ICI-BAS (laguerretotale.blogspot.fr)

Présentation :

Pour le blog « Ici-Bas / La Guerre Totale », entrée écrite en décembre 2008






À la section des radios de l’hôpital Lariboisière, sur mon brancard psychédélique de pop-star, alors que le tunnel donnait sur du vide mêlé au vent, j’ai vu type traiter son propre genou de fils de pute et menacer de le frapper parce qu’il lui faisait mal.
 Il y avait aussi ce russe tragique devant la porte, qui hurlait qu’il allait mourir si on ne lui donnait pas de la morphine, et sa copine le retenait difficilement alors qu’il se cognait les dents contre un poteau : « Mais je tourne devant le métro, la France, je tourne devant le métro et je demande. Et on ne me donne rien, la France, rien, rien et rien. Je vais mourir, je vais mourir si ça continue et qu’on ne me donne rien. »

Et encore ce vieux type avec une tête à la James Crowley qui refaisait son brancard comme un lit toutes les quinze minutes.
« Qu’il est fatiguant celui-là » disait sa voisine, une vieille dame qui soupirait à chaque fois que le faux Crowley se relevait et accomplissait sa grotesque besogne.

Gloria, l’infirmière presque noire aux faux airs de Naomi Dorrit, me dit alors gentiment : « Des types folkloriques, j’en ai vu tous les soirs, absolument tous les soirs, depuis six ans. »

Et je pensais que Suzy avait en fait un personnage de fiction qui lui ressemblait, éminemment, profondément, concrètement : le gouverneur James Devlin, dans « Oz », découvert trop tard. Parfait portrait craché, pour les siècles de siècles, de ce nouveau type d’homme (si on peut appeler cela un homme). Trop beau pour être vrai.

L’hôpital ressemblait autant à un commissariat que les écoles tendent à se confondre à des prisons.

Et là, j’ai reçu, enfin, la réponse à la question que je me posais depuis un mois au moins : S’il y a de moins en moins de différence, dans l’esprit de ceux qui dirigent la France, entre les innocents et les présumés coupables, s’il y a de moins en moins de différence, toujours dans leur esprit, entre la prévention et la répression, et si l’âge légal des prisonniers peut descendre jusqu’à 12, 11, 10, 9, 8 et pourquoi pas la naissance, enfin s’il y a, concrètement, et en toute illégalité, de plus en plus de personnes dans les prisons et de moins en moins de place, c’est que, dans l’esprit de ceux qui la dirigent (encore) la France n’est rien d’autre qu’une grosse prison.

Et si la France n’est rien d’autre qu’une grosse prison, alors les français ont, enfin, pour la première et peut-être dernière fois dans leur Histoire, la possibilité de se transformer en gnostiques, pour qui tout était prison, tout était cadavre, tout était angoisse et Occident.

Car l’Orient est spirituel, n’existe pas dans ces coordonnées mondaines, mais sous un huitième Climat, l’île verte, au-delà de la montagne de Qâf. Ici-bas, la prison est la règle, la liberté l’exception.

Celui qui a trouvé le monde est tombé sur un cadavre, et celui qui est tombé sur un cadavre, le monde n’est pas digne de lui.