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Rendez-nous la vie
Paru en 2020

Contexte de parution : Résistons ensemble, pour que renaissent des jours heureux

Présentation :

Texte écrit pour le livre numérique disponible librement par les éditions MASSOT Résistons ensemble, pour que renaissent des jours heureux.






Rendez-nous la vie. On ne vous demande pas plus. On vous demande de nous laisser vivre. Aujourd’hui, même ça, on ne l’a pas. On ne nous le permet pas. La vie, SVP. Il y a des choses simples et qui semblent plus difficiles à obtenir que tout : un logement décent pour tous, le minimum vital, la vie. Pour le reste, ce sera plus compliqué mais on a de la ressource. Pour le reste, on se débrouillera. On vous rappellera.

17% des logements à Paris sont inhabités. Gentrification oblige, les capitales d’Europe sont devenues des villages fantômes. On ne peut plus y vivre, et à peine y mourir. Les loyers sont si chers (cher n’est pas le bon mot ; un livre d’art est cher ; les morilles sont chères ; les loyers sont impossibles). On a laissé les propriétaires faire ce qu’ils veulent avec tout cet espace qui ne leur appartient que parce qu’on le leur laisse. Nous sommes trop gentils avec des gens qui ne le sont pas du tout. Rendez-nous l’espace. Un espace devrait d’abord appartenir aux vivants, à la communauté, au partage. Si on a une chose à exiger, une seule, c’est que les loyers des capitales de l’Europe baissent, et baissent drastiquement, tout de suite. Ils devraient même être gratuits. Que les gens qui bossent la journée dans une ville puissent y dormir le soir, et pas à deux heures de leur lieu de travail en transport en commun. Si un loyer est trop cher pour qu’un parisien y vive, il doit baisser. Ca devrait être une loi. Loyers, baissez, SVP.

Les produits de première nécessité doivent être accessibles à tous. Tout le monde doit pouvoir manger pour vivre. Il y a largement assez de nourriture pour tout le monde, et tant de nourriture gâchée parce qu’on ne veut pas la céder. Le comble de l’ignominie, c’est l’interdiction aux pauvres de faire la poubelle des supermarchés. Ce qui est jeté à la poubelle ne devrait plus appartenir à celui qui l’a jeté. C’est jeté, c’est à récupérer, et ça ne devrait même pas pouvoir être discuté. Le reste, on pourra en discuter si vous le voulez. Mais pas ça : il faut que tout le monde puisse manger. Le minimum vital devrait même être gratuit. Pour le reste, on verra. On en rediscutera. On vous rappellera.

Tout le monde le sait assez : l’argent est une drogue, l’argent rend fou. C’est une drogue : plus les hommes en possèdent, moins ils le partagent. Il faudrait faire une loi sur l’argent : passé une certaine somme, on vous surveillerait, on ferait des tests. Si vous n’êtes pas capable de le partager, votre argent, on vous le retirerait. On vous mettrait sous tutelle, sous curatelle. On vous en laisse déjà tellement. Pour vous, ce n’est pas assez. On sait : ce n’est jamais assez. Mais vous n’êtes pas vous-mêmes, c’est l’argent qui vous possède. C’est l’argent qui parle en vous. Un milliardaire avec l’argent est comme un drogué en manque, comme un alcoolique quand le bar va fermer.

Il faudrait probablement faire une loi là-dessus. Une loi morale d’abord. Parce qu’on n’arrivera jamais à faire passer notre loi, ils sont capables d’acheter les juges. Ils achètent déjà les hommes politiques, les policiers, les militaires. Il faudrait faire une loi morale qu’on partagerait tous, qu’on ferait passer comme une règle de vie : passée une certaine assiette, on ne t’écoute plus, on considère que tu ne fais plus partie de la communauté des hommes, tu es moins qu’une merde. La France compte 40 milliardaires et deux millions de millionnaires. On va être généreux : on met l’assiette au 2e million. Si tu es troismillionnaire, tu partages ton million en trop ou c’est fini, on ne t’écoute plus, on ne te parle plus, on ne joue plus avec toi ou pour toi, on fout la honte à tous ceux qui te fréquentent, les artistes qui te vendent leur machin, les stars qui boivent ton pinard. Tu donnes ou tu pars. Tu vas jouer tout seul avec ta fortune, dans tes rues privatisées avec des vigiles à l’entrée, dans ton bunker où tu vas te confiner lors de la guerre atomique mais où tu vas te faire chier dès la deuxième semaine, avec seulement dix bouteilles de champagne et trois call girls qui te détestent et qui finiront par te saigner pour partager la bouteille restante avec ton garde du corps. Troismillionnaire, tu es un con et tu es devenu notre paria.

Si on faisait une campagne d’affichage pour leur faire honte ? Pas de violence, juste la honte. Des affiches avec leur gueule, leur fortune, et comment ils l’ont faite surtout. Comment ils la font et la gardent. Comme s’ils étaient des bandits de western ou des disparus (ce qu’ils sont, d’une certaine façon). Wanted : votre fric, mabouls. Avis de recherche : votre cœur, tarés. Plutôt que de sauver Notre-Dame (enfin : soi-disant sauver Notre-Dame), sauvez les humains. C’est du name and shame ? C’est du name and shame. A l’heure où les hyper-riches achètent tout, des journaux aux artistes contemporains, pour blinder leur communication et se donner une bonne image d’eux-mêmes, il faut leur renvoyer la réalité de leurs méfaits à la face, continuellement. Il faut, en échange de l’image qu’ils veulent nous imposer d’eux-mêmes, leur renvoyer leur vrai visage. Ce n’est pas de la violence. C’est même le contraire de la violence : c’est une campagne de communication ; une campagne à leur adresse, ou plutôt à l’adresse de ce qui reste d’humain en eux. Rendez-nous la vie. Cessez de nous piller, SVP.

La politique n’est rien. Les politiciens ne sont rien, c’est l’argent qui est tout. C’est l’argent qui les possède et en fait ce qu’ils sont devenus aujourd’hui : de simples laquais, des valets de pisse. Assez pavoisé. Si les 40 milliardaires en France deviennent deuxmillionnaires, on s’en sortira très bien, on aura des milliards à mettre dans les logements, la nourriture, la santé, l’éducation. Et pour le reste, ne vous inquiétez pas, on se débrouillera. Mais ils ne nous le donneront jamais s’ils n’apprennent pas à avoir honte. Il est impératif qu’ils aient honte. Alors on va commencer. Rendez-nous la vie.