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La Vérité est une Ordure
Paru en 2020

Contexte de parution : La Vérité sur Max Lampin (Wombat)

Présentation :

Postface de la réédition de 2020 du livre de Roland Topor La Vérité sur Max Lampin


Sujet principal : Roland Topor
Cité(s) également : plusBoris Vian, Fra Angelico, Matt Stone, South Park, Trey Parker




A moins que ce ne soit un autre, puisqu’il est interchangeable, avec sa tête de conseiller de président, son sourire de banquier à lunettes, sa cravate de guichet d’administration, Max Lampin est sans doute increvable, puisqu’il n’arrête pas de ressusciter. Max Lampin est immortel comme la colère, comme l’injustice, comme la haine du premier venu. Il est inépuisable comme la connerie humaine, vertigineux comme un trou dont on ne voit pas le fond. Max Lampin est détestable comme la hiérarchie, insupportable comme la résignation, impossible comme la mort. Max Lampin crève.

« Topor me montre un petit carnet, La vérité sur Max Lampin, dira Wolinski en 2004. J’éclate de rire. Topor me dit : « Qui veux-tu qui m’édite ça ? » Nous sommes allés ensemble chez Pauvert, qui bien sûr a édité ça. » La vérité sur Max Lampin sort en septembre 1968. 72 dessins sur les rectos de 144 pages. Premier tirage : 600 exemplaires. Et, en 1972, Wolinski republie La vérité sur Max Lampin dans cinq numéros successifs de Charlie Mensuel, du n°41 au n°46. Dans l’éditorial du n°45 il écrit : « Jean-Jacques Pauvert n’est pas content. J’ai publié Max Lampin sans son autorisation. Mais comme je suis son ami et qu’il m’aime beaucoup, il fermera les yeux. En effet, La vérité sur Max Lampin de Topor, livre que je considère comme un des sommets de l’humour, fut publié aux éditions Pauvert en 1970 (sic). Ce livre fut, comme le dit Pauvert avec une résignation souriante, « le plus grand bide de sa carrière. » » Max Lampin crève et recrève.

Topor, qui naît en 1938 et meurt en 1997, écrit et dessine La Vérité sur Max Lampin quasiment au milieu de sa vie. A cette époque, il a déjà publié quatre recueil de dessins : Les Masochistes (1960), Topor (1961), Dessins panique (1965), et, aux Etats-Unis, Panic (1965). Deux romans : Le Locataire chimérique (1964), La Princesse Angine (1967) et un recueil de nouvelles : Four Roses for Lucienne (1967). La même année, il publie un autre chef d’œuvre conceptuel : Erika, un roman érotique avec un mot par page. Dans une interview, il parlera de mai 1968 comme d’un mois où il doit rentrer chez lui à pieds et où on lui demande des dessins politiques : « Alors que les dessins politiques, je déteste ». Il parle de sa crainte des manifestations, de son peu de goût pour la castagne, du fait qu’il n’est jamais au courant des trucs qui se passent et que, au fond, ça ne l’intéresse pas. « Et les gens croyaient que j’étais au courant de tout : Et alors, qu’est-ce qui va se passer en septembre ? » En septembre, il publie Max Lampin. Mai 1968 crève.

Au milieu du chemin de notre vie, on se trouve dans une chiotte de bar obscure. L’image comme le texte sont rythmés comme un film ou un morceau de jazz : petites touches d’abord, notes légères, tapotements, on effleure le sujet, on ouvre un œil puis l’autre, on teste son instrument… Et puis ça décolle, et là, on plane à mille mètres. Trois insultes banales : « Max Lampin est une ordure », « Max Lampin est un fumier », « Max Lampin est une crapule », et puis la parole grossit, se déforme, s’emporte, déconne : « Max Lampin est une ordure de fumier de saloperie de merde », « Max Lampin pue des oreilles et des narines comme du cul », « Max Lampin est une capote anglaise pleine de glaviots ». Les dessins également deviennent de plus en plus étonnants, inattendus, baroques, dérangeants, jusqu’à ce que le récit s’essouffle, lentement, comme une respiration de plus en plus difficile : « Max Lampin crève », « Max Lampin crève », « Max Lampin crève »… On hésite entre les graffitis de chiottes, comme l’a bien remarqué Alexandre Devaux (dans une interview, Topor dit également de la violence du livre qu’elle n’a rien d’extraordinaire « puisqu’elle s’exprime quotidiennement sur les murs des chiottes »), et la succession de mauvais sorts. En fait, il s’agit d’un livre sur la vérité. Ce n’est pas la vérité sur Max Lampin, c’est carrément la vérité sur la vérité. La vérité pue des oreilles et des narines comme du cul. La vérité crève.

Parce que, dans ce monde, la magie noire règne partout. Et nos relations avec les autres hommes sont obscures parce qu’il s’y mêle toujours une grande dose de sorcellerie. La vérité sur Max Lampin est le livre de notre vérité à autrui, à qui nous collons toujours des oreilles d’âne, ou dont nous barrons le visage, quand bien même nous l’aimons d’amour. La vérité sur Max Lampin raconte moins la vérité sur Max Lampin (on ne saura rien de lui à part les atrocités que nous lui attribuons) que la vérité sur nous, qui accablons Max Lampin et l’insultons d’ordure, de fumier, de crapule. Nous crevons, oui. 

« Quand celui-là aura servi, on en prendra un autre. » Et puis c’est une sorte de résumé absolu de la fonction du pamphlet. Tous les pamphlets se ressemblent. Tous les pamphlets pourraient être résumés comme ça, en particulier les stocks infernaux de libelles, anonymes ou non, du XVIIIe siècle, qui se sont attaqués à Rousseau, à Robespierre ou à Marie-Antoinette. La queue de Robespierre, L’Autrichienne en goguette ou La vérité sur Max Lampin : même combat. Rousseau jette ses gosses à l’assistance publique et se touche dans les cabinets. Robespierre est puceau et chie partout. Marie-Antoinette baise tout ce qui bouge dans son Petit Trianon et pète tout le temps. Rousseau crève ; Robespierre crève ; Marie-Antoinette crève. Aujourd’hui ce serait des titres de blogs ou des tweets énervés et tout aussi interchangeables que les pamphlets précédents. #grosculcouillesmolles #foutuconsentlepurin #crève

Dans une émission de radio, Jacques Vallet a rappelé un prédécesseur de Max Lampin : c’est le Schmürz de Boris Vian. Il vient de la troisième pièce de Vian, Les Bâtisseurs d’Empire, écrite en 1957 en pleine guerre d’Algérie et représentée en 1959. Le Schmürz est cette victime pure et simple qui se fait cravacher, cisailler, torturer, maltraiter sans raison par les autres personnages tout le long de la pièce. Il se pourrait d’ailleurs que le Schmürz soit à la fois le prédécesseur de Max Lampin et celui du Bébé de M. Laurent, pièce que Topor publie en 1972, qui se fait clouer sur la porte par son papa au début de la pièce et dont on apprend, tout le long de celle-ci, les différentes tortures qu’il subit jusqu’à ce qu’il ne reste plus que quelques morceaux du bébé à la fin de la pièce... Et tous les trois semblent annoncer Kenny, le personnage de South Park de Trey Parker et Matt Stone qui mourra systématiquement dans chaque épisode, du moins dans les cinq premières saisons. Crève, crève, crève, crève. 

Comme le Schmürz, comme Kenny et le bébé de M. Laurent, malgré sa tronche de cake d’employé de bureau blondinet et lunetteux, malgré sa gueule de sale con bon à gober ses crottes de nez et son sourire de gosse qui fait caca dans sa culotte, Max Lampin n’a rien fait. Il n’est pour rien dans les malheurs de Topor ou ceux de son lecteur. Max Lampin est un archétype et un bouc émissaire. D’ailleurs l’image qui semble presque se dessiner en pointillés dans La vérité sur Max Lampin, c’est le Cristo Deriso de Fra Angelico (1440-1441). Un Jésus qui se fait agresser par des morceaux de corps, pour illustrer le fait que ses yeux soient bandés et le vouent à essayer d’imaginer ses agresseurs sans pouvoir véritablement les situer dans l’espace. Regardez le Jésus de Fra Angelico et le Max Lampin de Topor côte à côte et vous serez troublés par les correspondances entre les deux. Le Christ est, dans l’histoire du christianisme, un bouc-émissaire permanent, que les chrétiens adorent représenter en train de souffrir, comme s’il était leur petit Max Lampin personnel. Max Lampin est le Christ de l’avenir, sacrifié et prochainement divinisé. Max Lampin est la vérité et la vie. A quand une religion de Max Lampin : un maxisme, un lampinisme, une église où on adorerait son visage sur lequel on a pissé et chié, sa tête qu’on a pendue à une corde et tranchée à la hache ? Si la République en marche devait créer une religion d’état, elle devrait faire adorer Max Lampin. On appellerait ça La République en marche et Max Lampin crève.

Pauvre vieux. Triste Lampin. On ne sait plus si tu nous fais rire ou si tu nous fais de la peine. Si nous n’étions pas dirigés par tes clones, on te demanderait pardon. Ce qui nous retient de te présenter nos plates excuses, c’est que la planète est dirigée par des pantins dans ton genre, et ils sont en train de la détruire. Si seulement on vous avait tué avant ! Hélas, Max : La planète crève.