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Le Désattesté
Paru en 2021

Contexte de parution : Le livre sans visage

Présentation :

Texte publié sur le blog Le Livre Sans Visage en mars 2021. 






Il est fini, le temps des attestations. Oh, well. Bien des fois, j’ai prophétisé en vain. Si souvent, l’avenir m’a donné tort. Mais là… En moins de 48 heures, le temps présent m’a fait un pied-de-nez mastoc et les attestations ont tout simplement disparu ! Il ne reviendra plus, le temps des attestations. Quel soufflet. Quelle rebuffade. J’en étais presque vexé. Preuve que j’étais entré dans la pataphysique de cette pornographie sanitaire, j’en avais déjà imprimé vingt-deux exemplaires. 

 

Tant pis pour ma gueule. Je n’avais qu’à pas commenter l’actualité, encore une fois. Je n’avais qu’à pas faire le mariolle en me foutant de Castex & Macron, encore une fois. Je n’avais qu’à faire ce que je dois commencer et crains d’enclencher depuis des mois. Faire ici mon « Journal d’un exégète ». Sans doute, l’époque est trop sombre pour que je trouve, en moi, la détente suffisante pour rédiger calmement celui-ci. Ça demanderait beaucoup d’efforts, de pouvoir commencer à tenir, simplement, ce journal rempli de questions de méthode, de protocoles d’interprétations et d’hypothèses de travail. Et puis ces derniers mois, j’étais occupé, aux Amandiers, pour ce spectacle que Bertrand Mandico préparait à partir de son film « Conan la Barbare » et qui s’est transformé en tournage. Oui, le spectacle du film est devenu le film du spectacle du film : « Conan la déviante ». Sacré Bertrand. 

 

Alors, pour commencer, je vais faire un point sur ce blog lui-même. Je l’ai commencé en automne dernier par dégoût pour ce qui fût ma relation aux réseaux sociaux. Mais aussi par désir de cohérence personnelle dans la façon dont je voulais vivre. Ma recherche est celle d’une relation plus apaisée au quotidien, réintégrée au temps long, une relation qui était déjà totalement perturbée par la façon dont les médias et, à leur suite, les réseaux sociaux, nous ont impitoyablement attachés au temps court et à la réaction à tout et à n’importe quoi. Notre addiction à l’information nous empêche de penser et même de vivre. Je suis très loin d’être le premier à me méfier des réseaux sociaux, et même très loin d’être le premier à y avoir été très actif et à en être brutalement parti. Mais cette auto-expulsion doit pouvoir m’aider à trouver une autre façon de vivre dans le Temps. C’est à ce titre que j’ai voulu mettre en place ce blog : pour ne pas me perdre moi-même dans le non-Temps. Surtout à une époque où la fréquentation des amis et la socialité est devenue plus rare, plus difficile, presque impossible. Une époque où la fraternité est devenue illégale. 

 

L’année dernière, lorsque le premier confinement est apparu, je sortais successivement d’une déception amoureuse et de la promo de « Tu m’as donné de la crasse et j’en ai fait de l’or ». Tout en restant connecté, j’ai commencé à écrire un très gros livre pour la collection de Laurent de Sutter. Mon essai le plus difficile et le plus complet à ce jour. C’est un livre qui s’appelle « L’Enquête infinie » et il doit sortir aux PUF cet automne. « L’Enquête infinie » est une exégèse des problématiques contemporaines, en particulier la place de l’énigme et du labyrinthe dans le monde moderne, les résurgences de l’image du Sphinx, la « scène de crime » et la naissance du personnage de l’enquêteur chez Edgar Allan Poe, mais aussi – entre autres – la redéfinition du « masculin » dans la musique soul ou la façon dont C.G. Jung a réintroduit l’intérêt pour la pensée des Sans Roi chez des artistes modernes et populaires comme Federico Fellini, David Bowie ou Philip K. Dick. Une histoire alternative du XXe siècle, en somme. 

 

De même, ensuite, Thomas Bertay et moi avons monté un quatrième film, qui s’ajoutera à Stupor Mundi 3 (« La plus dangereuse rencontre ») sur le DVD qui rejoindra le DVD des épisodes 1 et 2 (« Rituel de décapitation du pape » et « Les hommes qui mangèrent la montagne ») et complètera le mini-coffret. C’est un film-anniversaire, revenant sur nos vingt ans de collaboration filmique. Il s’appelle « Trois ou quatre cavaliers ». Je n’ai pas trop envie d’en parler pour l’instant. Je préfère vous laisser la surprise. Je ne veux pas trop « pré-interpréter » ce qui doit être de l’ordre de l’expérience non dirigée, non « orientée », du spectateur. 

 

Par contre, je me rends bien compte que le tour particulier qu’a pris nos vies depuis un an nécessite une nouvelle façon d’être au monde. Parce que c’est devenu difficile de vivre, au jour le jour, dans ce monde qui ressemble à un Dimanche permanent, comme dans la chanson de Morissey : « Everyday is like Sunday ». Beaucoup de gens que je connais craquent. Quand je me balade dans la rue, je vois des personnes hagardes, un peu folles, perdues. Ce monde est tout simplement dévasté. C’est très lourd. Il faut tenir. Pour cela, il faut s’inscrire dans le Temps. Mais le présent immédiat, cette espèce de démangeaison permanente qui ne peut raisonnablement engendrer que de la colère et du désespoir. Il faut essayer de s’inscrire dans la continuité même de nos vies, repasser par le tissage de ses cohérences et de ses incohérences, réinterroger nos attentes, nos déceptions mais aussi nos découvertes, nos illuminations. Voir les vieilles failles, les vieux traumas. Redécouvrir les victoires, les merveilles. Apaiser les morts. Réveiller les vivants. 

 

Je vous indique ici un entretien donné tout récemment à Antonio Dominguez Leiva pour le podcast « Pop en Stock ». On y parle à la fois de mes livres passés et de mes exégèses à venir. On y passe autant de temps sur « Poppermost », sur « Trois essais sur Twin Peaks » ou sur « Sycomore Sickamour » que sur les interprétations de Jung, de Bowie ou de Dick qui nourriront « L’enquête infinie ». Vous pouvez l’écouter, si vous le voulez. Il fait deux heures et on a dû s’arrêter parce qu’on était fatigué mais on aurait pu continuer. Et on continuera. 

 

https://player.fm/series/les-balados-oic/ep-4-pacome-thiellement-entretiens-pop-en-stock

 

Je voulais aussi vous proposer quelque chose. Une chose toute simple. Si certains d’entre vous estiment que les sujets que j’ai abordé par le passé (de l’exégèse de la pop à la métaphysique des Sans Roi en passant par l’exploration de la poésie visionnaire) ont besoin d’explications supplémentaires ou contiennent des zones d’opacité qui devraient être levés, j’aimerais que vous m’en parliez. J’aimerais que vous me disiez ce dont vous avez besoin ou envie. Je prendrais le temps d’y répondre, ici, parallèlement à l’élaboration de nouvelles pistes ou l’articulation de nouvelles explorations. J’aimerais bien que vous m’écriviez, sans pudeur inutile, à propos de tout ce que vous estimez que je devrais traiter davantage, que ce soit dans les champs historiques, politiques, philosophiques, amoureux ou spirituels. Ce n’est pas parce que j’ai quitté les réseaux sociaux que je ne veux plus de relation à autrui, ou même de relation à ceux que je ne connais pas et ne rencontrerai sans doute jamais. C’est parce que je voulais une relation plus constructive, plus profonde ; moins polémique et agressive. Idéalement, j’aurais proposé cela dans le cadre de conférences ou de rencontres, de façon humaine et directe, mais nous savons que cette possibilité est aujourd’hui, pour un temps indéfini, différée. Alors, on peut faire ça ici. Comme ça. Par écrit. Sans façon, mais avec rigueur. Si vous le voulez. Et, si vous le voulez, on commence maintenant.