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Pâle visage d’ange
Paru en 2014

Contexte de parution : Pale (palelegroupe.blogspot.fr)

Cité(s) également : plusFreaks, Lewis Carroll




Comme Alice, nous avons suivi un lapin.
Nous l’avons suivi dans le terrier du monde moderne.
Nous  avons  plongé  dans  le souterrain.
Nous sommes  tombés.
La  chute  dura  quarante  jours  et quarante  nuits.
 Et  qu’avons­ nous  trouvé  en  guise  de  pays  des  merveilles  ?
Athènes  détruite, abandonnée, humiliée.
Des  traders  dans  les  tours  ?  des  psycho  killers  dans  les  rues.
 Des stars toujours plus jaggeriennement vexantes ? des familles de plus en plus vampiriques et incestueuses.
Et  une solitude…  Ce  monde  était foutu.
Ce  n’était  plus  que  des  ruines,  des  zones.
Mais  cette destruction définitive n’était pas que dans  nos rues  et nos immeubles ?  elle  était  aussi  dans  nos cœurs.
Qui appeler ?
Les  hommes marchaient  avec la fin  du monde  dans leur main  comme une canne.
La monde qu’on doit porter est lourd comme un chagrin.
C’est comme une paupière qui manque de succomber sous  le  poids  de ses  larmes,  mais  la  musique  de  Pale  nous  soutient  dans  notre épreuve.
Elle est là pour alléger notre fardeau, ou, plus exactement, transcender son poids.
Faire de cette  tâche  un  héroïsme  nouveau,  porteur  de  joie,  et  d’un  lyrisme  qui  s’extrait  de  cette  arche ensevelie comme une colombe.
Le son de Pale est plein, compact.
Il y a des guitares qui sortent de partout, qui tirent comme des snipers perdus dans les ruines, il y a des synthétiseurs entêtants et la rythmique est implacable, mais il y a aussi une promesse.
Se faisant un chemin en serpentant entre les balles perdues,  la  voix  avance :  chuchotée,  calme,  hiératique, souveraine.
Elle  commente  le désastre avec le calme et la compassion des anges.
Mais elle convoque également le triomphe sur la mort ici­bas.
Pale,  c’est  une  voix  et  un  œil.
Ce  n’est  pas  de  la  chanson  engagée  ?  c’est  de  la  chanson contemplative sur des sujets historiques  ou politiques.
Pale,  c’est regarder des  choses très  dures avec  un  regard  très  pur,  et  murmurer  des  choses  terribles  avec  une  voix  douce.
Lorsque  la catastrophe va arriver, on comprend que des hommes hurlent, mais quand celle­ci est
déjà là, alors c’est inutile ? on peut tout traverser avec un calme absolu ? une sorte de sérénité blessée. Pale, c’est la musique des derniers temps, mais c’est aussi celle de la grande transition, celle de la préparation au  nouveau  cycle  historique.
Pale,  ce  sont  les  chants  de  Dionysos,  chantés  par  les  poètes  qui traversent la nuit.
C’est le grand rassemblement des Freaks autour de la coupe dorée pendant
leur cérémonie initiatique.
C’est la peau  et les paupières  peu  de temps  avant les premières lueurs de l’aube.
Et puis les yeux rouges d’avoir blanchi la nuit.
Le jour commence et Pale et nous ne faisons plus qu’un.
Nous courons dans les rues comme les lapins.
Nos yeux ne voient plus les êtres ou les choses mais ce qui se passe entre.
Nous ne voyons plus que les liens, les relations, les ponts.
Nous avons traversé l’Achéron mais nous ne sommes pas morts.
Nous avons traversé le Léthée mais nous ne sommes pas éteints.
Soyez plus calme que la Mort et vous ne goûterez point à elle.
Soyez plus pâle que les Anges et vous verrez le vrai visage du Temps.