Pacome Thiellement.com

corpus_259_pacometechnikart.jpg
Les objets Pop sont des canaux du sacré
Paru en 2016

Contexte de parution : Technikart

Présentation :

Entretien réalisé à l'occasion de la sortie de Cinema Hermetica avec Rémi Boiteux dans le numéro 198 de février 2016.

Photos réalisées par Charlélie Marangé.

pagestructure_589_pacometechnikart2.jpg

Tu te consacres à redonner une dimension ésotérique, voire spirituelle, à la pop culture. Pourquoi cette démarche ?
Comment définirais-tu l’essentiel de ton travail ?

Il s’agit de reconstruire une histoire qui aurait été brisée. Il m’est apparu très souvent que les éléments qui constituent la culture populaire ont une très, très longue histoire. Cette histoire n’est pas simple et a sans cesse été recouverte par l’histoire académique. Les mythes étaient de la culture populaire, Shakespeare et le théâtre élisabéthain étaient de la culture populaire, ça se jouait au milieu des auberges, des bordels et des voyous. Des lieux dangereux, pas les théâtres des grands bourgeois. De même la musique a toujours une origine qui est vraiment populaire -ensuite elle est rendue académique ou bien transformée en culture de masse: ce que l’univers académique considère bon pour le peuple, mais pas pour eux.

Il y a donc une confiscation de la culture populaire ?

En permanence, par tout ce qui est de l’ordre ce l’institution. Et pour pouvoir retrouver un rapport primitif avec la culture, il faut lui redonner un autre type d’histoire. J’essaie depuis le début de trouver des ficelles narratives pour lire ces choses-là autrement. Un objet culturel s’aborde toujours avec des a priori de perception qui te limitent. Pour faire de cet objet (livre, disque film, BD…) un véritable vecteur de transformation de ton regard, il faut non seulement transformer ton regard à travers lui, mais il faut aussi le transformer par ton regard. Mes livres sont des essais : ce n’est pas seulement de l’analyse: c’est aussi de la mise en scène.

Et tu racontes des histoires.

Tout le temps ! C’est ma façon de faire. Ces histoires sont toujours sourcées, je ne raconte pas des salades ! Mais ce sont des hypothèses hasardeuses car les sources sont peu nombreuses, très éloignées et peu connues. Je travaille sur des choses qui m’obsèdent depuis longtemps, le plus souvent j’attends dix ou quinze ans avant d’écrire sur un sujet, afin que mon regard soit enrichi. Si j’avais écrit sur Freaks juste après l’avoir découvert, je n’aurais dit que « waouh, génial, super ! »

Ta démarche répond-elle à un manque ?

On écrit un livre car on a l’impression qu’il manque. On fait tout ce qu’on peut pour aboutir au livre qu’on aimerait lire. La question de la dimension hermétique du cinéma, par exemple, j’y pense depuis l’âge de 23 ans et mes études de cinéma. Cette relation entre le spectateur de cinéma et l’officiant religieux. Pourquoi les salles de cinéma de Los Angeles ressemblent tant à des temples ? La forme du temple ou de la chapelle, on la retrouve aussi dans l’architecture des films: la Red Room de Twin Peaks, l’hôtel Overlook de Shining, l’espace de Suspiria, les toilettes du Locataire recouvertes de hiéroglyphes…

Tu recherches des résurgences déformées du sacré dans ces objets ?

Je cherche le sacré aujourd’hui. On sait tous que notre relation au sacré est déterminée par ces objets-là. Je ne connais personne, à part des gens qui ont une culture très traditionnelle, dont les émotions mystiques viennent uniquement de rencontres avec les architectures religieuses. J’en connais surtout dont l’intérêt pour la mystique ou la métaphysique est surtout venu de leur familiarité avec des films, des séries ou des disques pop. Ca me semble légitime que ce soit là le canal où passe le sacré. Les canaux du sacré ont toujours été différents et adaptés à leur époque. Je ne crois pas du tout que le sacré se soit exprimé une fois « bien » et les autres fois n’importe comment ! En gros, je ne crois pas qu’il puisse exister un temps ou les expressions du divin ne se soient pas données à entendre.

Beaucoup vivent cette expérience sans forcément savoir qu’elle relève du sacré ou du mystique…

Ils ne le disent avec ces mots, mais ils le vivent. Tous les fans le vivent. D’une façon peut-être limitée car ils n’ont pas vu que ce n’est qu’un vecteur. Même la plus adorable des formes n’est que forme. Star Trek n’est peut-être que Star Trek mais c’est le canal par lequel s’exprime la divinité pour les trekkies. Si ce n’est que Star Trek, OK. Mais une église n’est qu’une église, et un livre sacré n’est qu’un livre avec des mots écrits dedans. Pour moi, la Bhagavad-Gita a été écrite de la même manière qu’un grand film, je ne vois pas de différence. Il y a une dimension collective, l’époque écrit une œuvre au moins autant que l’auteur. Les premiers spectateurs ou lecteurs écrivent énormément l’œuvre, les suivants aussi, et l’Histoire la remplit progressivement. Le Corpus Hermeticum (les dialogues philosophiques d’Hermès Trismegiste) qui m’a beaucoup servi pour Cinema Hermetica, on n’a aucune idée d’à qui le texte s’adressait à l’époque. Les premiers hermétistes étaient peut-être des geeks qui écrivaient des conneries dans leur coin. Et alors ? Ca a été le vecteur des premières traces de l’alchimie, de la pensée talismanique, de la magie arabe… Et on y retrouve l’idée que pour les Egyptiens, les statues parlaient, les images parlaient. A Hermès, dans tout le Moyen-Orient entre le Xème et le XIVème siècle, on attribuait la création d’une ville vertueuse dirigée par les images. Les hommes s’orientaient en regardant des images qui leur indiquaient comment agir.

As-tu le sentiment d’avoir des prédécesseurs ou des confrères dans cet exercice d’exégèse de la culture populaire ?

Des confrères j’en ai plein. Pierre Pigot, Aurelien Lemant, Sarah Hatchuel, Claire Cornillon, Laurent de Sutter, Sarah Chiche, Linda Belhadj, Stéphane Legrand ou même Pierre Tévanian et Faysal Guelil à leur manière… Tous ne s’intéressent pas au sacré, mais l’exégèse pop traverse leurs travaux. Pour moi dans pop il y a tout ce qui a été pop avant la pop. Il n’y a pas que les années 60, les Beatles et James Dean. C’est tout autant la culture populaire, Rabelais, Attar, Les 1001 nuits… Tout ce qui a été culture vivante a été d’abord populaire. Il s’agit toujours de gens qui parlent de ce qui leur plait vraiment: voilà mes confrères -même s’ils ne sont pas tous autant obsédés par la mystique que moi ! Mais nous n’avons pas eu tant de prédécesseurs, car auparavant on n’était pas encore prêt pour l’exégèse du pop. L’exégèse est nouvelle -plus que le pop- car, les réseaux sociaux ayant disséminé la fonction critique, la place est laissée pour l’extension d’une œuvre dans le temps Tout le monde peut donner son avis sur le moment. Avant les réseaux, le rôle prescriptif de la presse était immense. Aujourd’hui avant d’avoir vu le film j’ai déjà quarante avis différents sur le dernier Tarantino…

Et discuter à chaud du dernier Tarantino ne semble pas être ce qui t’intéresse le plus…

Je peux déconner avec les amis, j’aime ça, mais ce n’est pas ce que je vais produire comme texte. C’est, encore, un rapport au temps: je n’attends rien. La critique prescriptive attend en général que le cinéaste fasse quelque chose plus tard. Moi je regarde en arrière pour voir les signes projetés depuis le passé. Bon, il m’arrive de faire de la critique, mais uniquement à des fins de propagande. Sur Secret Chiefs 3, par exemple, ou le cinéma de Bertrand Mandico. Je suis un fan et j’usurpe la fonction critique  pour  crier que c’est génial. Mon travail sérieux a besoin de la décantation du temps. J’ai besoin d’avoir les objets chez moi, d’y revenir sans cesse, d’étudier. Avant les VHS et les DVD, il n’y avait que de rêve et de la spéculation dans l’analyse de films, même si certains en ont parlé de façon extrêmement détaillée. Mais l’exégèse commence un fois que tu connais le sujet suffisamment par cœur pour partir ailleurs. L’exégète biblique ne va pas se demander ce qui se passe dans la Génèse, il a ça depuis longtemps dans la tête. En plus des « confrères » que je cite plus haut, je croise beaucoup d’exégètes pop sur Facebook, des gens comme Mathieu Dupré ou d’autres.

Tu peux citer un mur Facebook au même titre qu’un ouvrage de référence…

Une énorme activité intellectuelle a lieu sur Facebook. On est des sortes de talmudistes, on se cite, on se corrige… Dans le livre je cite un dialogue, sous une photo de Jack Nicholson que j’avais postée, avec Nicolas Ker de Poni Hoax qui se met à me parler de la carrière de Nicholson come un voyage lovecraftien vers le nord. Ca, ça a une vraie valeur pour mon travail. Je m’intéresse à cette idée qu’une carrière d’acteur a une signification. Le choix des films d’un acteur ou d’une actrice, la façon dont ils jouent comme on interprète une partition, c’est de la création. Il y a quelque chose d’angélique par exemple chez les actrices qui impriment une idée de la beauté. Les mystiques ou les poètes se contentaient souvent de regarder leur muses -rien de plus- pour avoir l’idée d’une harmonie, une émanation du monde à son meilleur. Les stars jouent ce rôle pour les spectateurs.

Comment as-tu choisi les films abordés dans Cinema Hermetica ?

Un film en a entraîné un autre. J’ai commencé avec Le Locataire de Polanski, et puis je suis retourné en arrière: Nosferatu (Murnau et Herzog), Freaks (Browning), et puis j’ai continué jusqu’au bout. Nosferatu était parfait pour parler de ce que c’était que regarder un film, et Freaks de l’autre côté renvoyait à tout ce que le cinéma ne prenait pas en charge. Le livre danse entre ces deux éléments. Fabrice Colin, l’éditeur, m’avait demandé un livre sur les films cultes. J’ai dit oui, mais les films cultes des autres ça ne veut rien dire: il fallait que ce soient les miens ! J’ai besoin d’être à l’intérieur du culte.

Résurgence du sacré encore une fois avec ce terme culte…

Exactement. C’était aussi la volonté de Fabrice: il fallait que ce soit des objets sacrés pour moi. D’où l’absence de Star Wars ou Autant en emporte le vent. C’est une programmation, c’est mon petit festival en douze films. Et les onze textes dialoguent, sont traversés par les mêmes thèmes. J’ai par exemple écarté un texte sur Huit et Demi qui ne résonnait pas assez avec le reste et que j’ai publié sur le net, en bonus. Il fallait que ça fonctionne comme un album de musique où certains morceaux, mêmes bons, doivent être écartés du tracklisting. Ou comme ces scènes coupées qu’on retrouve sur les DVD et qui auraient altéré le sens. J’étais certain de terminer par Shining.

Tu te réfères beaucoup à René Guénon: tu n’as pas peur d’effrayer le lecteur qui vient chercher de la pop culture ?

Je n’ai jamais vraiment peur ! Ils ont l’habitude, par exemple, d’ouvrir un livre sur le cinéma de Hitchcock, Kubrick ou Cronenberg et de trouver plein de trucs sur Freud -pourquoi pas du Guénon ? Chacun ses sources ! Et ma manière de lire Guénon n’est certainement pas orthodoxe. Je l’utilise d’une façon qui paraîtra sûrement aussi étrange à un guénonien qu’à un lecteur qui cherche un pur ouvrage de cinéma. C’est ce que j’aime bien chez les autres, l’usage singulier d’un penseur, c’est pourquoi je le fais aussi. C’est rendre hommage aux penseurs. Et je suis vraiment persuadé qu’on peut voir les films de Welles à la lumière de Guénon, ce sont des œuvres qui se répondent extrêmement bien, je ne leur fais pas violence. Il s’agit de créer une perspective singulière. Tiens, un truc que j’aurais aimé faire et que je n’ai pas fait: associer Synecdoche, New York de Charlie Kaufman avec des textes de Shankaracharya sur la délivrance ou d’Evola sur la seconde mort. Ca produirait un regard très particulier sur Kaufman, mais aussi un regard tout autant particulier sur Evola ou Shankaracharya: ils seraient transformés par la mise en relation. Mais il faut d’abord qu’il y ait plusieurs motifs qui se répondent, qui riment. Il ne faut pas forcer, ce doit être organique, comme du montage. Si tu mets face à face Mickey et Gorbatchev, ça ne marche pas.

As-tu un désir d’initiation vis-à-vis de tes lecteurs ?

Je ne crois pas. L’exégèse diffère de l’initiation, ça reste un commentaire singulier. L’idée d’initiation suggère que je saurais déjà le chemin à prendre. Or je n’en sais rien. On est ensemble sur cette île, je prends juste la décision de marcher dans une direction et je dis ce que j’ai vu. Je suis plus un mec qui cherche qu’un mec qui a des réponses. Quand le livre commence, je n’ai qu’un texte d’avance sur le lecteur, je ne possède pas une totalité que je ne donnerais que par morceaux comme c’est le cas dans l’initiation. On découvre l’île ensemble, livre après livre. Chaque livre est la description d’une station croisée sur notre topographie commune de l’île.

Cinema Hermetica s’ouvre sur cette phrase: « l’Histoire n’était pas écrite pour nous »: c’est qui, « nous » ?

Il fallait créer une généalogie du spectateur. C’est « nous, spectateurs qui savons faire parler les images ». Des fabricants et des personnes qui écoutent. Ca peut être les hermétistes ou n’importe quel spectateur qui a un rapport cultuel avec le cinéma. Mais je trouve curieux qu’on ait tant de mal avec les gens qui disent « nous » quand tant de gens ont dit « je » !

D’ailleurs cette guerre contre l’ego se retrouve souvent dans tes écrits…

C’est une possibilité que nous offre la contemplation des œuvres. La réalisation humaine est impensable sans ascèse. Le contraire est amusant mais sans résultat ! Le temps de privation des passions n’empêche pas le temps de fête, le Carnaval. Il s’agit de se libérer des dépendances et la plus grande de celles-ci et la dépendance à l’ego.

Le fait que ce discours soit aussi peu contemporain t’attriste-t-il ?

Oui ! On est dans un monde où on t’explique sans cesse que pour réussir tu dois te comporter comme la dernière des crapules, un monde qui plébiscite la méchanceté. Les politiques comme les animateurs de télé, notamment, sont des monstres d’ego bouffi, bêtes, agressifs. Il n’y a pas beaucoup de différence entre la connerie monumentale de Valls ou Sarkozy et de mecs comme Hanouna, ou encore des écrivains de l’autofiction. Ces monstres dans un délire égomane, on t’explique que c’est ça qui faut faire, intensifier les passions de l’ego, comme clé de la réussite. On le prouve en les récompensant. Mais on peut voir que ça ne marche pas en voyant la gueule qu’ils ont et comment ils vieillissent ! Mieux vaut finir avec le beau visage du brahmane Ramana Maharshi, même si ça signifie rater sa vie selon leurs standards ! Si ta réussite a pour contrepartie un affaissement de ta personnalité, ça ne va pas. Quant au Carnaval, j’y reviens, c’est ce qui a toujours posé problème et qu’on cherché à contrôler d’abord les religions institutionnalisées puis les laïcités institutionnalisées. Pour l’institutionnel, le Carnaval est une menace, la possibilité pour l’Homme d’une reprise de sa puissance d’exister. Les institutions ont réussi à le faire quasiment disparaître en le remplaçant par des fêtes d’une horreur infinie, comme la fête de la musique qui, placée trois jours avant la Saint-Jean, rend cette dernière impossible. Ces fêtes venues d’en haut, on ne s’y amuse pas, on s’y détruit, les gens se destroyent la gueule. Alors que la vraie fête est une ascension. L’ivresse ce n’est pas se saouler. Et le Carnaval est aussi un travail, il n’y a pas de séparation entre la fête et le travail. On travaille à faire la fête, et le travail (comme l’ascèse) devient une fête.

Trouves-tu notre époque moins intéressante que les années 60, par exemple ?

Pas du tout. Elle est riche de beaucoup d’autres choses. Artistiquement l’époque et passionnante du côté de la série télévisée, de l’humour instantané sur les réseaux -voilà un truc qu’on a inventé. Je suis certain qu’on regardera notre époque comme une période très sombre, mais riche. Les années 60 étaient une période lumineuse, mais la condition c’était l’ignorance en Occident du malheur d’une grande partie du globe. On ne se figurait pas ce prix de notre bonheur. Aujourd’hui, on commence. Et on voit mondialement. Il n’y a pas que le mondialisme des salauds, il y a du positif dans le mondialisme. Deleuze disait, déjà, des choses importantes là-dessus: voir l’autre bout du monde. Je ne suis pas plus deleuzien que guénonien, mais ça me parle : une pensée-monde, qui n’est plus focalisée sur « nous, occidentaux ». Ca devient beaucoup plus évident pour notre génération. Nos dirigeants sont pourris, mais nous, nous devenons meilleurs, vraiment !

Les gifs contribuent-ils à faire de nous des êtres meilleurs ?

Ce sont des pratiques intéressantes, et je n’aime pas qu’on rejette l’époque comme un tas de boue. Les memes internet, pour moi c’est fabuleux, lumineux, très drôle et extrêmement fin. En plus ce sont des œuvres sans auteur, des blagues qui circulent. C’est fascinant, ce don. A aucune autre époque on aurait pu offrir à des inconnus l’intégrale de l’œuvre de Duke Ellington. Maintenant on a les moyens mais ce qui est formidable c’est qu’on a aussi l’intention de le faire. De partager. Je connais encore beaucoup de gens qui n’aiment pas partager leurs sources. Pour moi ce sont des gens de l’ancien monde. La rétention, quelle horreur ! Alors que sur internet il y a des gens qui mettent tout en ligne, cadeau. Peu importe que ce soit vain ou pas: le geste est beau et grandiose. Merci à ceux qui ont mis en ligne leur discographie, les films, les séries, les documents. Cette période est très sombre, avec un pressentiment permanent de guerre civile mondiale dont seuls les oppresseurs, les puissants, seront vainqueurs. Au milieu de ce moment de destruction, de fin de cycle (qui me fait penser à la fin de Lost où tous les lieux sont détruits), les êtres humains sont capables d’être meilleurs et se révèlent. Plus le monde va vers la destruction, plus les êtres isolés deviennent capables de choses extraordinaires.

Avant de spoiler la fin du monde, revenons un peu sur les séries…

C’est là où ça se passe, pour moi. C’était un enjeu de faire un livre sur le cinéma depuis le temps des séries. J’ai d’abord écrit sur des séries, et la série implique l’exégèse par le temps qui passe et le nécessaire souvenir entre deux épisodes. Les recaps ont toujours une dimension exégétique et symbolique. Le cinéma en avait sûrement un peu besoin: ça redevient vivant, un objet un peu moins esthétique et un peu plus cultuel. Etant tellement un objet esthétique, le cinéma avait engendré un regard de critique d’art, un regard de goût. Les séries n’ont pas commencé dans l’esthétique, et ont permis un regard de vie.

Peut-être aussi parce qu’on parle des séries au moment où l’œuvre n’est pas terminée…

Absolument. Elles sont en train d’exister.

Les réseaux sont pleins de gifs et de memes, mais aussi de RIP, en ce moment…

Là aussi, on pourrait en faire une critique cynique mais je trouve ça intéressant. Ces déplorations collectives transforment nos murs Facebook en murs de peines, en herbiers des disparus. Un chaos d’images comme une tombe fleurie, même si les fleurs ne durent pas longtemps. Ce sont les signes d’une appartenance collective symbolique et ça n’a rien de méprisable, au contraire. Je comprends moins ce que cherchent ceux qui ironisent. C’est plus créatif que le traitement des morts célèbres par la presse : on va rechercher des séquences ou des morceaux méconnus et ça fait partie de la beauté du médium. Quand Bowie meurt, je préfère aller sur Facebook qu’ouvrir le journal, car on va par exemple y trouver le document « Le Rêve de Natacha » passé sur TF1 en 1976…

Si tu devais retenir un point commun entre tous les artistes sur lesquels tu as écrit: Zappa, Lynch, Nerval, Lindelof, Choron, Von Trier, les Beatles… Qu’est-ce qui les relie ?

Ils portent des flambeaux dans la nuit. Ce sont des prêtres de Dionysos ou des porteurs de Xvarnah. Ils portent de leur époque ce qu’il y a de plus terrible et de plus lumineux. Brûlants et lumineux comme des flammes, voilà. Fire walk with me !

pagestructure_590_pacometechnikart3.jpg