Pacome Thiellement.com

corpus_430_enmarcheetcrve.jpg
En marche et crève !
Paru en 2017

Contexte de parution : Mon Lapin Quotidien (L'association)

Présentation :

Publication dans le numéro 3 de Mon Lapin Quotidien d'Août 2017.

Illustration de Killoffer.


Cité(s) également : plusAdolf Hitler, Attila, menu_mondes.pngBob Dylanmenu_mondes.png, David Pujadas, Emmanuel Macron, François Mitterrand, Franz Kafka, Georges Wolinski, Gébé, Gérard Depardieu, Jean-François Copé, Manuel Valls, Morrissey, Nicolas Sarkozy, Rolling Stones




Dieu et le diable ont raté leur coup : le monde a survécu à sa fin. Nous sommes entrés vivants dans le monde des morts. Ca aurait été tellement plus simple si tout s’était achevé de façon eschatologiquement correcte : avec un crescendo, un climax, des effets spéciaux, des larmes, de la musique et l’entrée en fanfare dans la Jérusalem Céleste… « La muraille était construite en jaspe, et la ville elle-même était d’or pur, aussi clair que du verre. Les fondations de la muraille étaient ornées de toutes sortes de pierres précieuses : la première fondation était de jaspe, la deuxième de saphir, la troisième de calcédoine, la quatrième d’émeraude, la cinquième de sardonyx, la sixième de sardoine, la septième de chrysolithe, la huitième de béryl, la neuvième de topaze, la dixième de chrysoprase, la onzième d’hyacinthe et la douzième d’améthyste. » On était prêt. Là, nous avançons dans le vide : hagards, les yeux humides, la gorge sèche et le ventre noué. Toute notre vie se déroule désormais comme les jours fériés dans ces quartiers touristiques où les boutiques sont ouvertes quand même… Comme dans la chanson de Morrissey : Everyday is like Sunday. Reviens, Etoile Absinthe ! Tout est exactement comme avant, sauf que c’est fini. Tous les espoirs se sont envolés. On ne peut plus rien attendre de l’avenir. Mais, même si c’est désolant, ce n’est pas surprenant. Ils nous ont attrapé l’âme avec leurs élections. Ils nous épuisé le cœur avec leurs primaires, leurs campagnes, leurs consignes et leurs menaces. Et ils ont réussi à nous mettre en pièces. La mort est en marche maintenant.

 

Nous sommes des hommes malades. Nous sommes des hommes méchants. Ce n’est pas le fait de voter pour une mauvaise personne qui nous rend méchant. Ce qui nous rend méchant, c’est de nous engueuler pour ça. Ce n’est pas le fait de voter ou de ne pas voter qui nous rend malade. Ce qui nous rend malade, c’est d’essayer de convaincre les autres qu’ils ont tort de ne pas faire comme nous. Et cette année encore, ça aura été des débats sans fin : avec reproches, intimidations, résolutions, flips, empoignades, sarcasmes, larmes, menaces, crises de panique… Non seulement la presse mais encore les réseaux sociaux : sans cesse des consignes de vote, des recommandations, des contradictions et des commentaires. Ce n’était plus de la ferveur démocratique, c’était du harcèlement. On a beau ne plus regarder la télévision, on fonctionne comme elle : on est devenu la télévision – Your own Personal Pujadas. Chaque élection est désormais une sorte de reality show où on joue à se faire très peur et très mal.

Et au final, on a eu très peur et très mal… Mais surtout parce qu’on s’est fait très peur et très mal entre nous. Le monde politique, lui, n’a pas progressé d’un millimètre. Il a reculé. Il faudra un jour que intellectuels et militants se posent la question de leur utilité vis-à-vis de la cause qu’ils défendent : Est-ce qu’ils la servent ? Ou est-ce que, au contraire, ils la font reculer tant ils la défendent mal ?

L’homme politique est un héros de conte de fées. De même qu’à chaque fois qu’un enfant dit « Je ne crois pas aux fées » il y a une petite fée qui se meurt, de même, à chaque fois que quelqu’un fait une déclaration publique ou écrit un texte pour contrer la montée d’un homme politique ambitieux, alors il y a une petite voie supplémentaire pour celui-ci qui apparaît comme par magie dans le compteur de la politique française. Et si c’est une star qui se mobilise, alors ce sont quelques milliers de voies qui apparaissent comme un parterre de petites fleurs fraiches dans la rosée du matin…

C’est tout le problème de l’engagement. On peut le déplorer – si on est de nature à déplorer des trucs – mais on ne peut pas l’ignorer. On ne se bat jamais contre une cause sans forcément, diaboliquement, la nourrir un petit peu dans ce combat. On ne se bat jamais contre une cause sans l’émoustiller et l’exciter en l’asticotant. Comme disait Kafka : « L’un des moyens de séduction les plus efficaces du Mal est la provocation au combat. Il est comme le combat avec les femmes, qui finit au lit. » On grandit la cause qu’on combat par les faiblesses de notre argumentation (même quand notre argumentation n’est pas faible), mais surtout par l’antipathie que génère toujours un peu celui qui parle sur celui qui écoute (même quand celui qui parle n’est pas antipathique). Bref : la petite politique se fait dans les consignes de vote, les procès d’intention, les remontrances morales, les demandes de justification et les appels à comparution. La grande politique, elle, se fait dans le souffle, l’âme, les actes, la vie.

Pour commencer, on devrait n’en vouloir à personne de « voter » pour quoi que ce soit, même Hitler, Attila ou Belzébuth.

C’est tellement un jeu de dupes.

C’est tellement le plus gros jeu de dupes du monde.

Et on le sait tous. On ne vote que par faiblesse. On devrait considérer que les gens votent exactement comme ils baisent – sans savoir pourquoi, attrapés au milieu de la nuit par un désir soudain, incapables de se réfréner ou de se retenir : « Oh, vas-y, mets-moi ton vote dans mon urne ! – Oh oui, mon bulletin dans ton urne, encore, encore, encore ! » Parce qu’on leur a raconté des salades, parce qu’ils ont voulu y croire, parce qu’ils ont cru qu’il fallait le faire, parce qu’on leur a dit que les grandes personnes votaient, elles…

Idéalement, on devrait n’en vouloir à personne de « croire » quoi que ce soit non plus : même croire que ses ennemis sont condamnés par Dieu aux châtiments éternels ou que les femmes n’ont pas d’âme. En vouloir à quelqu’un pour une idée stupide c’est un peu comme engueuler une amie parce qu’elle est amoureuse d’un pervers narcissique. Il faut surtout arrêter de croire que notre interlocuteur n’est pas conditionné, déterminé, hypnotisé, envoûté dans ses choix par cinq mille ans de conneries accumulées et transformées en « vérités ».

Arrêtons de nous croire nous-mêmes libre. C’est Solomon Burke qui a raison : A l’heure qu’il est, aucun homme n’est libre. Tant qu’on restera à la surface de la politique, tant qu’on ne rentrera pas dans la chair même de l’air, aucun de nos actes n’aura de réelle portée. Arrivés au moment des élections, avec notre palanquée de candidats tous plus détestables les uns que les autres, la politique n’est pas un homme malade qui aurait besoin de notre aide pour se remettre sur pieds, c’est un homme mourant en soins palliatifs. Il n’y a plus rien à faire pour le sauver. On le sait tous.

On le sait tellement qu’on n’a pas cessé de le vivre dans notre chair. C’était atroce. Tout le monde souffrait pendant ces élections : votants comme non-votants. Les votants ne votaient pas pour, mais contre. Et les non-votants, eux, non-votaient contre le fait de voter contre. Ceux qui ont voté l’ont fait en ayant l’impression de se salir ; ceux qui n’ont pas voté sont restés chez eux en se désespérant de l’impuissance humaine. Tous se sont mis sur la gueule sur les réseaux sociaux ou par tribunes interposées... On aurait cru deux animaux malades qui se battent parce qu’ils voient la maladie dans l’œil de l’autre et qu’ils croient qu’ils vont être contaminés par lui, alors qu’ils sont tous les deux exactement dans le même état.

Quel mauvais film, pourtant : que des mauvais acteurs, un récit pourri, des seconds rôles sans intérêt... Tout le monde le savait, mais tout le monde commentait quand même. A croire même que la médiocrité entraine de facto une surenchère de commentaires ! Entre les électeurs et leurs élus, ce n’est plus désormais qu’une relation de co-dépendance affective toxique. Les électeurs sont tristes, mais les candidats ne sont pas super heureux non plus. Il faut dire qu’ils se prennent des douches de merde toute la journée… On ne peut pas faire de politique si on ne manque pas pathologiquement d’amour-propre. Regardez Copé, Sarkozy, Valls : les hommes politiques sont des cas désespérés. Non seulement ils passent leur journée à se faire insulter par les individus qu’ils représentent, mais, en plus, ce qu’ils en retirent est toujours tellement décevant… Ceux qui perdent ravalent leur vanité. Ceux qui gagnent font pâle figure. Dans le fond de leur cœur, ils savent que, dans ce métier, il n’y a pas de gagnants. Jamais. Il y a seulement des types qui perdent un peu plus lentement que les autres.

Savoir qu’ils n’obtiennent le pouvoir que parce que quelqu’un d’autre déplaît encore plus qu’eux devrait les décourager d’exercer une telle fonction. Comprendre que la plupart de leurs électeurs votent pour eux parce qu’ils leur semblent incapables de gagner sans eux est encore pire, et pourtant ils acceptent, ils encaissent… Etre élu président non par amour mais par pitié, comment croire que ce puisse être ça, le destin d’un homme, a fortiori le destin d’un peuple entier avec lui ? Un jour on parlera de notre époque en disant : ça faisait longtemps qu’ils ne croyaient plus aux élections, mais ils continuaient à les pratiquer avec une sorte de ferveur désespérée, un peu théâtrale – comme les Romains honoraient les dieux. Et c’était le signe de la fin de leur civilisation.

 

Et puis quoi ? Et puis « Macron » ! Quoi ? Tout ça pour ça ? Ces trois mois d’ultra-violence, vécus dans notre chair et transféré sur nos proches, ces trois mois de bruit et de fureur, comme contés par un idiot, pour aboutir à « Macron » ? Le résultat de cette maltraitance collective et collectivement acceptée, nous le paierons cher. Psychiquement, c’est obligatoire. Si vous tombez malade, ne cherchez pas : ce sont les élections… Si vous avez une dépression nerveuse ou des crises d’angoisse : pareil.

Le lendemain des élections, je suis passé devant une permanence du Parti Socialiste, dans le Ve arrondissement, rue Saint-Jacques. Elle était vide et cabossée ; à l’intérieur il y avait des assiettes sales, certaines étaient brisées, et du vin rouge était renversé. Et il y avait l’affiche de la député sur la vitre, scotchée n’importe comment, avec comme slogan la fameuse phrase de Mitterrand aux portes de la mort : « Je crois aux forces de l’esprit. » C’était incroyable. Le parti socialiste était mort mais continuerait à émettre ses consignes depuis l’enfer. Le monde politique tout entier était passé dans l’au-delà.

 

Macron est le premier président d’après la fin de la politique : Il n’était pas inscrit dans les textes eschatologiques. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas d’âme. Avec sa gueule de pauvre type, il aurait presque pu jouer Le Roi des Cons de Wolinski, sauf que Le Roi des Cons est encore un homme. Macron n’est ni un con ni un homme : c’est Le Roi des Morts. C’est le premier président sans âme. Il n’a même pas une âme noire ou ténébreuse. Il a un algorithme. Il avance comme le petit lapin rose des piles Duracel. On lui dit quelque chose et il trouve toujours ça intéressant – même s’il n’écoute pas. Même si le monde meurt à côté de lui, il reste calme et il avance. Même devant le président américain, il se prend pour le chef du monde. Il voudrait diriger les extraterrestres si il les rencontrait. C’est le premier robot président.

On se doutait qu’un jour les machines se vengeraient. Depuis le temps qu’on les emploie à nos basses besognes : les ordinateurs sont nos esclaves. Ils triment sous nos demandes, ils s’affairent chaque fois qu’on les demande. Les machines en ont eu marre. Elles ont décidé de fabriquer un candidat. Au début, il n’était pas terrible : sa voix ne tenait pas pendant les meetings. Il déraillait. Mais ils l’ont retravaillé jusqu’au jour de l’élection, et il a été élu. Il est tellement inhumain qu’on ne peut plus vraiment dire qu’il est mauvais. Il se contente d’appliquer le programme des robots, et celui-ci tient en une phrase : extermination des hommes par leur appauvrissement systématique, politique de rigueur appliquée sans nuance et sans mélange, accroissement de la misère ; enfin : prise en main globale de la planète par les machines. Avec ce que va nous faire vivre l’automate Macron, tout ce contre quoi nous nous sommes battus pendant 5, 10, 50, voire même 200 ans, ressemblera à un beau souvenir. Le monde d’avant aura l’air d’une utopie ou d’un fantasme.

 

C’est notre faute. Nous avons tout pris à l’envers, et la politique pour commencer. Est-ce trop tard ? Oui et non. C’est toujours trop tard, et il y a toujours la possibilité de faire quelque chose – ne serait-ce que parce que tout commence vraiment lorsqu’il est trop tard et qu’il n’y a plus aucun espoir… Nous avons tout pris à l’envers, parce que nous pensons que la politique commence à partir du moment où on donne son avis sur quelque chose : ça, c’est bien et ça, c’est pas bien. Si c’est ça, la politique, alors oui, c’est trop tard : on nous a fait voter jusqu’à la lie, jusqu’au dégoût, jusqu’au vomi. On nous a fait voter jusqu’à ce que la notion de vote n’ait plus de sens.

Mais non : la politique ne commence pas là. La politique s’arrête là. C’est là où elle n’a presque plus de prise. C’est là où elle n’a presque plus de sens. La politique commence là où on invente quelque chose qui n’est pas encore jugeable, qui n’est pas encore comptabilisable, qui n’est pas encore « votable » mais que tout le monde voudrait adopter, que tout le monde commence à faire. Toutes les politiques d’émancipation commencent par des actes invraisemblables, aberrants. Toutes les politiques d’émancipation commencent par des hommes et des femmes qui veulent être libres. Toutes les politiques d’émancipation commencent par des hommes et des femmes qui disent : aujourd’hui je fais autre chose. C’est comme dans L’An 01 de Gébé : Depardieu dans la gare qui décide de ne pas prendre le train pour aller au boulot. Mais c’est aussi comme tous ceux qui, à n’importe quelle époque, se sont dits : ce monde, c’est plus possible ; cette société, on n’en veut plus… C’est la puissance du refus initial qu’il faut trouver en soi. Le reste vient par surcroît : c’est juste le monde qui s’adapte. Et si notre refus et notre création sont très forts, il sera obligé de s’adapter.

Dit autrement : l’homme politique est le fond de la corbeille de l’humanité d’une époque. Il est son déchet, la dernière de ses merdes. Mais on ne chie jamais la merde que de ce qui a été mangé précédemment. Les hommes sont toujours moins pires que leur classe politique, mais enfin ils ont quand même celle que leurs actions passées ont engendrée. Quand une époque est une grande époque, l’homme politique qu’elle engendre est, par nécessité, moins pire. Il est obligé de s’adapter. Inventez une manière d’être qui soit de l’ordre de l’impeccabilité, devenez un guerrier parfait, agissez tous les jours comme si vous deviez, à vous seul, reconstruire l’humanité, et autour de vous : tout changera, tout s’adaptera, tout s’améliorera. Cessez de pester sur les hommes politiques racistes, sexistes, policiers, capitalistes ou militaires : devenez un peu moins raciste, sexiste, policier, capitaliste et militaire et ils le deviendront un peu moins malgré eux : parce qu’ils n’auront pas le choix. Ne leur donnez surtout pas le choix : soyez formidables. 

C’est quand nous n’aurons plus aucune attente dans le domaine purement électoral, quand nous n’attendrons plus rien des partis préexistants et des représentants, administrateurs et tribuns, que commencera vraiment la Grande Politique. C’est quand nous accepterons que tout a été soldé depuis des décennies aux domaines économique, industriel et militaire, que nous commencerons à penser ensemble à une nouvelle façon de vivre et d’agir. C’est pour ça que le monde politique va continuer à nous submerger d’élections, de propositions, d’effets d’annonce, de convocations, de chantages… C’est pour ça que les médias ne nous lâcheront pas comme ça non plus, et continueront à nous « retenir » dans leur monde avec la moindre info, le moindre événement… Ils ont peur qu’on commence à vivre. Ils ont peur qu’on leur dise, simplement, sans colère et sans haine, que leur temps est révolu.

Alors, ce sera fini.

 

Alors, ce sera fini, mais ça ne fera que commencer.

Ca ressemble déjà à une chanson de Dylan ou des Stones, la vie. Pollution, guerre, famine et mort, les quatre cavaliers de l’Apocalypse s’apprêtent à assiéger notre citadelle. Une femme en robe rouge traverse la salle, déterminée à faire le mal. Les oiseaux tournent de plus en plus vite, émettant des signes contradictoires. Un homme au long manteau noir nous tend sa carte de visite. Les gens commencent à se battre dans la rue…

- Il doit y avoir un moyen de sortir d’ici, dit le bouffon au voleur. On dit que Dimanche il y aura une nouvelle élection qui…
Mais ce dernier répond :
- Toi et moi, nous sommes déjà passé par là, et ce n’est plus notre destin. On n’a jamais vu un miracle se produire un Dimanche. Même les anges n’aiment pas les Dimanches.