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Les magazines sont formels : des menaces de mort ont été envoyées à d’éminents représentants de la classe politique. Des balles de neuf millimètres. Des « lettres d’amour » qui viennent droit du cœur de la Cellule 34. Parce que le responsable est, sans doute, un adepte des méthodes punitives de la classe politique elle-même, dirigée pour toujours par la Maffia des Hauts-de-Seine. Parce qu’il tient, sans doute, à leur offrir le meilleur miroir de leur abjection. Et parce qu’il faut, sans doute, que les choses se règlent.

« Ministres, députés, sénateurs, pourvoyeurs de lois liberticides […] vous n’êtes que des morts en sursis. » C’est avec un enthousiasme modéré que nous retrouvons, dans un casting de Whodunit caricatural dont Agatha Christie même ne voudrait pas, les superflus Rachida Dati, Michèle Alliot-Marie, Frédéric Lefebvre, Christian Vanneste, Jean-Paul Alduy, Alain Juppé, Jacques Blanc, Raymond Couderc, Christine Albanel, Nonce Paoli, et, bien sûr, parce que les Dix Petits Nègres sont Onze, Suzy Antéchrist-Superstar, la plus nerveuse de toutes les superflues.

« Ministres, députés, sénateurs, pourvoyeurs de lois liberticides […] » Il y a peut-être des fautes d’orthographe dans la petite missive dactylographiée ; en attendant, « vous n’êtes que des morts en sursis, mais des morts verrouillés », c’est beau comme du français classique. Suzy me faisait penser à un zombie ; et parfois à une petite marionnette cassée ; désormais, ce sera, pour toujours, un président mort verrouillé. Pourtant tout cela laisse un goût étrange dans la bouche. Le goût d’une époque passée, qui ne reviendra pas. Le goût d’avant-hier. Avons-nous été si méchants dans nos précédentes vies que nous soyons forcé de revivre avant-hier ? Avons-nous outrepassés les Lois du Cosmos, pour que le monde moderne ne nous livre plus que des personnages et des intrigues d’un passé symboliquement révolu ? Après Mai 68, après Mesrine et les Brigades Rouges, voici revenir le temps des régicides, Jacques Clément et Ali Agça. Quand réussirons-nous à nous sortir de cette mauvaise fiction dans laquelle la France est plongée depuis trente-cinq ans ? Quand le temps cessera-t-il de faire autant machine arrière ? Quand vivrons-nous dans notre fiction, une fiction cruelle et pénible, peut-être, une fiction pourrie jusqu’à la moelle pourquoi pas, mais une fiction qui nous ressemble, une fiction qui nous ressemble enfin ? Et pas cette éternelle boucle de nostalgie misérable qui semble tourner sur elle-même comme un Ouroboros ?

Tous les cavaliers de la Janisselle et de la Jêlle sont sur la piste des nouveaux malfaiteurs. Ils voudraient nous faire pleurer, encore une fois. Ils voudraient nous faire pleurer et nous sentir terriblement affectés. Encore une fois. Mais jusqu’à quand voudront-ils nous avoir par les sentiments ? Jusqu’à quand voudront-ils que nous fassions semblant d’être affectés, comme eux-mêmes font semblant de croire à leur désir d’être aimés ? Ils voudraient nous faire pleurer pour leur pauvre petit corps, mais seuls leurs anges personnels sont concernés ; ça fait trop longtemps que nous sommes dégoûtés par tant d’amour de leur part ; tant d’amour mal fait ; et nos yeux sont désespérément secs. Les hommes politiques sont des stars ; la vie est une illusion ; et les stars n’ont pas le droit de se sentir concernés par leur propre mort. C’est le pacte de départ : toute célébrité se paye. Son prix c’est d’être assassinable à merci.

La grande fautive, c’est encore Suzy, et sa stupide identification avec John Fitzgerald Kennedy (en plus de Louis XVI et de sa starfucker autrichienne). Suzy n’est pas un Américain. Il est pire qu’un Américain. Il ne veut pas seulement une Tragédie avec une Happy End, il veut que sa Tragédie soit adaptée en sit-com. Pourtant cet assassinat, ce serait sa seule chance pour vraiment faire quelque chose de bien dans sa vie de grande stupide. Cet assassinat, ce serait sa chance, la seule, de remettre le temps à l’intérieur de ses gonds et de laisser l’horloge tourner à nouveau dans le sens de notre époque. La mort est une illusion, mais ceux qui la subissent frontalement réussissent à inverser momentanément les deux côtés du miroir. Ils rétablissent le tir. Je ne veux pas que Suzy se fasse tuer ; je veux qu’elle consente à se faire tuer. Nuance. C’est pour ça qu’on appelle ça un sacrifice : c’est pour que le soleil revienne. Et l’Univers est dans la nuit depuis trente-cinq ans.

Le vieux Deleuze avait raison : dans les sociétés de contrôle, on n’en a jamais fini avec rien. La preuve, c’est qu’on ne se paye plus que des putains de biopics depuis une éternité. Même Coluche a eu sa biopic ; même Gainsbourg aura la sienne. Tout cela est ridicule et vain. Nous sommes condamnés à voir et revoir en boucle un passé qui avait été vivant, histoire de bien nous enfoncer dans le crâne que nous autres, nous ne naîtrons jamais. Depuis le premier crash pétrolier, nous n’avons jamais vraiment eu d’existence collective. Nous ne sommes que les fantômes des enfants non-nés de la génération précédente. Une génération qui ne s’est jamais complètement remis de la trahison de tous ses idéaux. Une génération qui n’a jamais accusé le coup de son cynisme et de sa cauteleuse médiocrité, et qui, pour se punir elle-même et ses enfants avec elle, a congelé le temps à tout jamais. C’est ça que Jean Eustache n’a pas voulu voir, lui qui revoyait en boucle tous ses films préférés, en se donnant la mort le 3 Novembre 1981. Ce qu’il n’a pas voulu voir, c’est l’armée des morts, c’est notre cinéma, c’est « Avant Hier ».

« Vous comptez être enterré dans un sarcophage ? » demanda un jour Martin Bashir à la plus grande star du monde, au milieu de ses emplettes égyptiennes, dans un magasin de statuettes dorées de Las Vegas.
- Non, répondit Michael Jackson. Je ne compte pas mourir.